vendredi 22 juin 2012

Le paradis des coiffeurs

Grande nouvelle : aujourd'hui, je suis allé chez le coiffeur. J'ai troqué ma coupe afro - anormalité du climat sur l'archipel - contre une chevelure de beau gosse.

Admirez le travail

Remarquons tout de même qu'au pays des manga et anime, réputés pour leurs coupes de cheveux improbables, j'ai échappé au pire. En effet, le nawak capillaire ne se trouve pas que sur papier recyclé et écrans LCD. Faisons un petit tour à Harajuku, grand temple des modes underground, pour remplir notre besace d'exemples choisis aux petits oignons :








Si le Japon (ou tout du moins certains quartiers de Tokyo) sont plus tolérants concernant les coupes de cheveux que la France, il faut remarquer que les salons de coiffure sont aussi très différents entre les deux pays. Analysons voir le phénomène à travers le miroir des expatriés au Japon, j'ai nommé Charisma Man.


Notre looser de héros est dans une situation bien compliquée : aux prises avec des locaux, il est soumis à une séance de torture... qui n'est rien d'autre qu'une séance chez le coiffeur. Si l'aspect douloureux se retrouve dans le porte-monnaie (avec des prix à peu près deux fois supérieurs aux salons de Paris), bien d'autres éléments sont plutôt fun :

1. Au Japon, vous ne calez pas la tête dans l'évier pour qu'on vous lave les cheveux, non, c'est le fauteuil qui bascule pour vous mettre le chef sous l'eau chaude. Et pendant ce processus, on vous met une serviette sur le visage pour vous protéger de toute éclaboussure. Vu que ce n'est pas assez drôle si on ne le fait qu'une fois, on vous lave les cheveux avant et après la coupe. Amazing !

2. Les coiffeurs étant bien occupés dans le secteur, il n'est pas rare qu'il vous faille attendre un petit peu si vous vous pointez sans rendez-vous. Au lieu des magazines féminins morbides dispersés sur une table basse comme dans la salle d'attente d'un hôpital, ce sont des étagères entières de mangas classés par séries qui vous sont proposées pour passer le temps, parfois avec la télé allumée et même la PS2 prête à chauffer. Ah, le service japonais... Dans le même ordre idée, on peut se faire proposer un petit massage et se faire apporter une serviette chaude pour se débarbouiller après la coupe

3. Je ne sais pas si les coiffeurs sont aussi loquaces que ça dans la langue de Shakespeare hors du ghetto américain de Roppongi, mais lancez-leur quelques mots en japonais et les vannes s'ouvrent tout à coup. Si les questions traditionnelles du type "D'où venez-vous" et "Que faites-vous au Japon" sont légion, dites-leur que vous n'utilisez jamais de gel et vous serez sûrs de soulever des concerts d'expression ébahies et des yeux grands comme des assiettes.

Eh oui, car il y a une race de jeunes qui pullule dans les salons de coiffure, grande consommatrice de Vivelle Dop Fixation Extrême et qui est la seule à pouvoir compléter les 30 points de sa carte de fidélité en un mois : les hosts.

Silhouette longiligne, cheveux mi-longs en mode manga, nonchalance et air de ressemblance avec Squall de FFVIII : le host dans toute sa splendeur

Le host est une espèce nocturne : chassant en bandes dans les quartiers branchés des villes japonaises, ils sont en recherche de demoiselles jeunes ou moins jeunes susceptible de les suivre dans leur repaire pour leur payer des coups à boire en se délestant de quelques milliers de yen. Les grands carrefours les soirs de week-end sont les lieux de prédilection de ces jeunes à la coupe manga, foulant le pavé en compagnie des rabatteurs d'izakaya errant comme des âmes en peines leur menu à la main, et des distributeurs de flyers, lumpenproletariat des temps modernes affublés de divers costumes pour les rendre plus visibles.

Ce qui est étonnant, c'est que ce système de clubs d'hôtes/d'hôtesses (qui sont par ailleurs séparés) marche du tonnerre au Japon. Dans toutes les villes d'une certaine importance où je suis allé - jusqu'à la très provinciale Matsumoto - il y avait toujours au moins un établissement de ce type dans les quartiers plus ou moins hype. D'une certaine façon, on pourrait dire que les hosts et hostess sont les successeurs modernes des geisha : chargés de tenir compagnie et de divertir leur clientèle, ils restent dans un flou total quant à offrir des prestations sexuelles. Tout comme les geisha pendant les siècles passés (sans doute plus aujourd'hui), ça dépend des personnes, ça dépend des clients. Mais plus le client est régulier ou VIP, plus il y a de chances pour que ça balance dans cette direction.


Notez qu'il y a quand même une différence de prestation

samedi 9 juin 2012

Chevreuil et le Temple du Soleil


La vague de travail de mi-semestre étant enterrée, je peux continuer et peut-être même conclure la rubrique nécrologie avec quelques petits évènements sympathiques de fin-mai.

Commençons tout d'abord par un peu de spiritualité. Il semblerait bien que l'été soit revenu, et avec lui la saison des matsuri ! Eh oui, ces joyeux festivals shintô n'en finiront pas de remplir les pages de ce blog. Toutefois, ce n'est pas à un matsuri "normal" (ce mot semblant être à la mode ces derniers temps) que j'ai assisté cette fois-ci... mais l'un des plus grands matsuri de Tokyo, et même du Japon : le Sanja Matsuri.

Bande de veinards, dégagez le bazar ! Vous allez voir c'que vous allez voir

Ce festival est dédié aux trois pêcheurs qui ont fondé le temple Sensô-ji à Asakusa, dont je vous ai parlé à plusieurs reprises. Et ce n'est pas sur un, ni deux, mais bien trois jours que le quartier festoie et résonne aux cris de la foule, au son des tambours, des flûtes et des bruits de cuisson dans tous les petits stands de nourriture qui ont fleuri dans le coin. Il s'est avéré que c'était le 700e anniversaire du festival cette année, dont on n'a pas lésiné sur les moyens et à peu près tout le Japon s'est attroupé dans ce quartier de la capitale pour ne rien rater. Ou tout du moins, c'est l'impression que j'en ai eue.

Impossible de se mouvoir sur 500 mètres
Ca n'aura pas échappé à vos yeux aiguisés, il y a bel et bien un mikoshi (alias sanctuaire portatif) sur cette photo. En effet, je suis passé faire un tour à Asakusa le samedi après-midi où plus d'une centaine de mikoshi se baladaient dans le quartier, balancés à bout de bras par des participants ultra-chauds dans les hourras de la foule. Morceau d'ambiance :

"Sanja matsuri"
Equipe rouge perdue


Equipe verte au taquet
 



C'est à bâbord qu'on gueule le plus fort !


Au fond, la toute nouvelle plus haute tour de Tokyo : Sky Tree

Mais le Sanja matsuri n'est pas qu'une procession sans fin de mikoshi : il y a aussi des spectacles de taiko (tambours japonais), des danses données par les prêtresses maiko afin de divertir les kami, etc etc. Étant relativement occupé, j'ai loupé le clou du spectacle le dernier jour qui est la sortie des trois mikoshi principaux, où c'est vraiment la folie pour le coup. Tant pis.


Il faut dire que j'avais quelque chose d'autre en tête : l'éclipse annulaire de Soleil le 21 mai au matin. C'est un phénomène assez rare où la Lune s'intercale entre la Terre et l'astre solaire, mais trop près pour le couvrir entièrement. Du coup, au lieu d'avoir un disque sombre auréolé de lumière comme ce qu'on aurait dû avoir en 1999 en France, c'est un anneau de flammes qui s'ébauche dans le ciel pour quelques minutes. Vu que cela ne s'est pas produit à Tokyo depuis plus de 800 ans, ça a été la folie dans les pages de magasines, dans les salles de classe où les professeurs nous encourageaient vivement à mirer le phénomène, dans les rames de train où des flashs météo spécial éclipse étaient diffusés, mais aussi et surtout dans les magasins où les lunettes spéciales pour ne pas se cramer les yeux ont très vite atteint la rupture de stocks.


C'est ainsi que je me suis levé le matin de bonne heure pour assister à cet évènement cosmique. Me rendant au sanctuaire shinto du coin pour mieux profiter du spectacle, je suis arrivé quelques minutes avant que la région toute entière ne s'arrête pour mettre ses lunettes et lever les yeux vers le soleil.

Quelques personnes étaient rassemblées, totalement par hasard

Ca y est, l'éclipse est complète... mais il fait à peine plus sombre qu'en temps normal

En levant les yeux, on voit ça. Une éclipse, sérieux ?

Mais une fois qu'on met les lunettes, on voit tout de suite la différence. Bel anneau de lumière au-dessus de nos têtes.

Avec un appareil de qualité, le résultat est autrement plus impressionnant


J'en profite pour faire un petit flash saisonnier avec le retour de l'humidité vendredi. Il ne faisait pas encore super chaud, mais on sentait l'air chargé et les T-shirts potentiellement mouillés. Mon flair de vieux flic m'a soufflé que la saison des pluies commençait. Bingo.


Prévisions météo de la semaine. Il va falloir que j'investisse enfin dans un parapluie.


dimanche 3 juin 2012

Rumba au Pays du Matin Calme


S'étalant de fin avril à début mai, la Golden Week a souvent rimé pour moi avec l'absence de mise en ligne de nouveau chapitre de manga - les magasines hebdomadaires pré-publiant les séries ne sortant pas de numéro pendant cette période. Mais cette année, je me suis exclamé en chœur avec 120 millions d'Asiatiques qu'une semaine de vacances, c'est une sacrée aubaine et qu'il faut en profiter pour voir du pays. Sauf que la Golden Week porte mieux son nom que prévu : tout le monde prenant ses congés en même temps, voyager coûte bonbon. C'est pourquoi, en faisant appel à toute ma ruse, j'ai grillé la politesse à une nuée de salarymen ainsi qu'à mes chers professeurs de Waseda pour filer à l'anglaise et en avance de l'autre côté de la mer du Japon. Ou peut-être devrais-je dire, de la mer de l'Est. Quoi qu'il en soit, c'est sur une terre pleine de controverses coréano-japonaises que j'ai posé le pied avec ma copine, et c'est dans sa capitale qu'on a posé nos bagages : Séoul.

Commençons par un petit rappel historique sponsorisé par Wikipédia. Mais avant cela, jingle dramatique.


Oui alors tout à fait Jacqueline, riche d'une histoire de plus de 2000 ans, la Corée est loin d'être un pays sorti de nulle part au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Zone tampon entre la Chine et le Japon, auquel elle a fourni les premiers colons, le Bouddhisme, l'écriture et tous les systèmes d'administration d'inspiration chinoise, la Corée fut au cours des premiers siècles une péninsule formée de trois royaumes finalement unifiés au début du Xe siècle. Après une longue période de pressions puis de domination Mongoles, la Corée se débarrassa enfin de ses envahissants voisins à la toute fin du XIVe siècle, ouvrant la période Joseon traversée par deux Âges d'Or et marquée par l'invention de toutes pièces de l'alphabet hangul encore utilisé aujourd'hui. Mais la dynastie coréenne a peu à peu décliné à la suite d'invasions mandchoues au XVIIe siècle, refusant les influences extérieures en appliquant un isolationnisme strict, ce repli sur soi-même lui valant le surnom de "royaume-ermite". 

L'ouverture forcée au commerce extérieur dans la seconde moitié du XIXe siècle a formé un appel d'air à la modernité assimilant tout ce qui pouvait se faire en Occident. Cela n'a pas empêché l'autre pays réputé pour sa longue politique isolationniste, le Japon, de faire mainmise sur la Corée en la transformant en empire fantoche sous protectorat en 1897, puis de l'annexer purement et simplement en 1910. N'oublions pas de mentionner les "femmes de confort" exportées dans l'archipel et l'absence d'excuses officielles de la part du voisin nippon, et vous aurez une idée du ressentiment encore palpable de la Corée envers son ancien colonisateur.
La suite, vous la connaissez. Occupée au Nord par les soviétiques et au Sud par les Américains en 1945, divisée en deux États aux idéologies opposées et théâtre d'une guerre terrible en 1950-53, la Corée continue de souffrir de sa séparation forcée alors que le dernier État stalinien du monde, la République populaire démocratique de Corée, refuse de laisser les familles brisées se rejoindre et ne cesse d'entretenir un état de guerre en lançant des brimades (et des obus) à la République de Corée. Un seul peuple mais deux États, l'un mourant de faim, l'autre s'enrichissant d'année en année grâce à un succès économique et diffusant de sa culture à l'international via la K-pop et les drama (séries télévisées à l'eau de rose qui font un carton) : voilà le tableau bicolore de la Corée brossé en quelques ligne.

Shuffle et taekwondo : la Corée du Sud en un clin d'oeil


Et au milieu de tout cela, on a Séoul. Je dis bien au milieu, car la capitale coréenne est non-seulement située au plein centre de la péninsule coréenne, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière, mais elle incarne également tous les bonheurs et déboires de l'Histoire. Prise et reprise trois fois durant la Guerre de Corée, ce qui n'était que ruines en 1951 a été reconstruit à la va-vite la paix revenue, puis largement développé ces 15 dernières années en une métropole moderne et fonctionnelle qui rattrape Tokyo à une vitesse grand V.

Séoul by night

Mais fort heureusement, de très nombreuses traces du passé sont passées entre les mailles du filet et sont aujourd'hui de grandes attractions touristiques. Tout d'abord, les palais. Une poignée d'immenses palais sont dispersés dans la partie "historique" de la capitale, souvent déplacés et replacés après la colonisation japonaise et dans l'ensemble classés au Patrimoine Mondial de l'Unesco. Si les palais se ressemblent beaucoup, ils ont de très chouettes jardins qui valent le coup d’œil.

Le palais le plus couru : Gyeongbokgung


Dédales d'arrière-cours et d'habitations courtisanes

Très proche et plus sympathique : Changgyeonggung

Remarquez l'espace entre le sol et le plancher : les Coréens entretiennent depuis des siècles un système de parquet chauffant grâce à des conduites cachées !


Serein l'étang

Cette architecture coréenne particulière, très "extrême-orientale" avec les toits incurvés etc., se retrouve largement dans les quelques zones qui n'ont pas été rasées lors de la guerre. C'est là-bas qu'on trouve les hanoks, habitations coréennes traditionnelles qui ont gardé tout leur charme.




Pas de gâchis, les jarres contenant le kimchi fait maison (cf plus bas) et en cours de fermentation sont stockées sur le toit !
Tuiles incurvées au bout des murs : détail 100% coréen

Notons aussi la présence d'une poignée de portes monumentales dispersées dans la capitale, vestiges des fortifications de la ville. Pour une raison obscure, les deux portes principales, Dongdaemun ("la porte de l'Est", recouverte en restauration) et Seodaemun ("la porte du Sud", cramée en 2008 et en reconstruction), sont flanquées d'immenses marchés où l'on trouve à peu près de tout et de n'importe quoi pour une poignée de won, faisant le bonheur des ménagères de plus de 40 ans.

Dongnimmun, la porte de la Liberté
Dans la très proche banlieue de Séoul, la Forteresse de Hwaseong déroule son chemin de ronde

La Forteresse est d'ailleurs inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1997






Voilà en gros l'étendue du patrimoine directement touristique de Séoul, ce qui peut faire croire à pas mal de gens qu'il n'y a rien à voir dans la capitale coréenne.




Séoul a aussi tout un ensemble d'importants temples bouddhistes qui valent le détour. Mais ne cherchez pas le dénuement des temples bouddhistes japonais, qu'ils soient zen, Tendai ou Shingon : le bouddhisme en Corée appartient à une toute autre branche pleine de couleurs, de tentures et de grandes statues dorées de Bouddha. Le cadre et l'ambiance s'approchent bien plus des temples taoïstes de Taïwan.

Temple Jogyesa

Autre temple, véritable complexe plein de lanternes multicolores

Gardien de la porte


Les bodhisattvas veillent au grain
Ambiance festive, venez nombreux !

Le bouddhisme coréen est d'autant plus particulier qu'il n'est pas exclusif. En d'autres termes, il s’accommode très bien d'une pointe de christianisme... mais aussi de beaucoup d'animisme, gardant des traces importantes des systèmes de croyances "traditionnels" coréens. Cela s'aperçoit par la multiplication des diseurs de bonne aventure et des horoscopes lisant dans vos paumes comme dans un livre ouvert, et bien plus encore par la pratique du chamanisme. Installés dans les collines bordant la ville, les chamans accueillent les visiteurs dans leur hutte colorée le soir venu et leur offrent conseil en échange d'offrandes (souvent du makkori, un alcool de riz coréen - ce qui est d'ailleurs un parallèle intéressant avec le rôle important du saké dans le shinto japonais), interrogeant les forces de la Nature je suppose. Ces requêtes abordent un bon nombre d'éléments de la vie quotidienne, notamment le mariage et la compatibilité supposée de deux fiancés - les réponses semblent être prises très au sérieux et peuvent faire s'opposer des parents aux noces de leur progéniture. Malheureusement, il semblerait que les chamans refusent de recevoir des étrangers... ce qui peut se comprendre, ils ne veulent pas être pris pour des curiosités ou des animaux de foire pour touristes.

Guidé par Julien, sciencespiste en échange à Korea University et grand secours au pays du Matin Calme, j'ai pu grimper sur l'une de ces collines chamaniques, pénétrant dans un tout autre univers à quelques stations de métro du centre-ville. Atmosphère mystique.



Nombre de rochers aux formes étranges sont révérés sur la colline, à commencer par celui-ci

Mais aussi celui-là, qui a la forme d'un crâne
Et celui-là de même

Tronçon original de la muraille de Séoul datant du Moyen-Age

Vue sur la ville depuis la colline des chamanes




Mais malgré tout cela, devinez quelle est la religion dominante en Corée ? Contre toute attente, il s'agit du christianisme ! L’Église regroupe à peu près 29% de la population tandis que le bouddhisme n'en attire que 23%. Pourquoi un tel succès, quand bien même la Corée a martyrisé une paire de missionnaires durant le XIXe siècle ? Il faut croire que l'invasion soviétique de la Corée du Nord a renforcé le christianisme dans la partie méridionale de la péninsule, déplaçant non-seulement tous les pratiquants du côté de Pyongyang chassés à coups de chars vers le Sud, mais érigeant aussi la religion en idéologie protectrice face au communisme. Résultat : la Corée du Sud est aujourd'hui le second pays missionnaire du monde (après les States) et plusieurs dirigeants coréens sont et ont été de confession chrétienne.

Bel exemple de la puissance chrétienne en terre bouddhiste : la cathédrale de Myong-Dong, un bien beau bâtiment néo-gothique aux offices nombreux et apparemment bien remplis, vu la foule qui s'est déversée hors de ses portes quand on passait dans le coin.



Mais Myong-Dong, c'est surtout un autre visage de Séoul et de la Corée : celui d'un pays bon marché où claquer ses thunes. Le coût de la vie y est dérisoire, moins cher encore que Taipei, et c'est bien pourquoi Séoul rime avec aboule (ta cargaison) dans l'esprit des Japonais. Myong-Dong est vu comme le quartier du maquillage avec des boutiques à tous les coins de rue, mais aussi des salons de massage, des vendeurs de snacks, des chœurs gospels, des cafés en-veux-tu-en-voilà et des magasins de fringues. Je vous épargne la foule. Par ailleurs, le public japonais était très clairement visé dans les quartiers marchands/attrape-touristes de la capitale en cette période de Golden week : personnel appelant "irasshaimase !" et autres expressions typiques tous les 15 mètres, petits cadeaux d'entrée dans les boutiques, rabatteurs et flyers devisant dans la langue nippone... Ce qui a été l'occasion d'en troubler plus d'un en tant qu'Occidental se mettant à causer en japonais.

Non, Samsung ne fait pas que des appareils électroniques

"Too cool for school", il s'agit bien d'une marque de maquillage.
Petit appareil bien pratique pour gérer les flux dans les cafés : confié lors du paiement, il reste de marbre le temps qu'on gagne sa place et qu'on s'installe tranquillement, puis il se met à clignoter et vibrer quand la commande est prête, signifiant qu'on peut aller retirer son cappuchino/smoothie/Quarter Pounder with Cheese au guichet. Une invention excellente évitant d'attendre pour rien.

Silent disco en plein milieu de la rue. Enorme.

Cette escapade a été l'occasion de revoir Minjeong et Bohea, étudiantes d'échange à Sciences Po l'an dernier, et bien évidemment de partager makkori et karaoké !

After party à l'heure où les métros ferment. Pas de souci, le taxi coûte que dalle



Qui dit sortir dit manger. Là, Séoul fait office de Mecque de la bouffe. Si Taipei était énorme gastronomiquement, Séoul est une tuerie. Mais si tu traînes là-bas, ramène ton estomac (mais surveille tes intestins). En effet, si la cuisine coréenne ne se limite pas au très connu kimchi (légumes fermentés avec du piment, servi à tous les repas) ni au bulgogi (le barbecue coréen), sachez qu'à peu près tout est épicé à vous en faire pleurer. Galerie des merveilles.

Le fameux kimchi. Qui s'y frotte s'y pique !

Soupe de kimchi, tarte-pizza de kimchi et divers plats secondaires... dont du kimchi

Samgyeopsal, barbecue dont la viande grillée se mange enroulée dans une feuille de salade avec de l'ail. Un régal. Et bien sûr, du kimchi.

Soupe avec des gâteaux de riz semblables au mochi japonais.

Glace au format très particulier

Porridge épicé

Autre exemple des mochi coréens

Bouillon de kimchi. Celui là m'a tué.


Peut être le plat le plus célèbre : le bibimbap. Sous l'oeuf et la couche de légumes se trouve du riz, on mélange le tout tant que c'est chaud avant de le manger.

Séoul étant très prêt de la frontière, il est tentant d'aller faire un saut chez les communistes pour voir comment vont les camarades. C'est un pas que nous avons franchi très vite. Mais ne rêvez pas : on n'accède pas à la dernière partie du monde gelée dans la Guerre Froide comme dans un moulin. Il faut obligatoirement passer par un tour opérateur, réserver plusieurs jours à l'avance, n'avoir rien de louche dans son passeport et prier pour que les voyages ne soient pas complets. C'est finalement plus facile que ça en a l'air, un simple coup de fil de notre auberge de jeunesse, et le tour est joué ! Se faisant embarquer dans un minibus de bonne heure le matin en franchissant la porte, puis changeant pour un bon gros bus de voyage anglophone rempli à raz-bord et animé par une charmante Coréenne très en forme, nous sommes partis sur la route du Nord.

Les rues de Séoul se sont changées en autoroutes urbaines, puis en autoroute classique, et enfin en une autoroute ultra-large mais complètement vide où nous étions à peu près les seuls à circuler. L'ambiance du paysage s'est faite de plus en plus tendue alors qu'apparaissaient les marqueurs d'une zone militarisées et qu'on se rende compte que la raison d'être d'une route aussi absurdement large est de faciliter le déploiement des tanks en cas d'attaque.

Barbelés et miradors le long de la rivière
Premier arrêt du tour : Liberty Bridge. Il s'agit du seul pont de voie ferrée reliant les deux Corées, mais vu le climat actuel, il ne semble y avoir que deux passages par jour. L'autre passage, c'est le pont routier que nous avons emprunté par la suite, après avoir fait un arrêt au barrage militaire et montré patte blanche bien sûr.

Un symbole.
De nombreux déplacés et leurs descendants sont encore sans nouvelles de leurs familles restées de l'autre côté. "La Corée n'est qu'un seul peuple", nous a rappelé notre guide. "Nous avons été unis pendant plus de 10 siècles, 60 ans de séparation, ce n'est rien pour nous".
De l'autre côté de la rivière, nous sommes entrés aux limites de la frontière entre les deux Etats : la Zone Démilitarisée (DMZ). Il s'agit d'une zone tampon de 4 km de large autour de la ligne de démarcation telle que définie dans l'armistice de 1953 où la présence d'armes et de troupes est très précisément réglementée... mais cela n'empêche pas les deux parties de masser des régiments permanents de chaque côté de la zone, en faisant l'un des espaces les plus armés du monde. Si on a loupé le coche pour décrocher un tour à l'intérieur de la DMZ dans le village de Panmunjeon où l'on peut croiser des soldats Nord-coréens à tous les coins de rue (et où pour le coup, on ne fait pas un pet de travers), on a vu pas mal de choses dans la zone militaire entre la rivière et la DMZ.

Maquette de la DMZ, délimitée par les pointillés jaunes de chaque côté de la frontière rouge

Bien qu'étant une zone de guerre, la DMZ a été aménagée en une destination touristique par la Corée du Sud - ce qui n'est pas sans poser des problèmes de temps en temps. Pour éviter tous les malentendus, notre guide nous a précisé de ne pas tenter de fausser compagnie au groupe ni d'essayer de passer la frontière si l'on ne veut pas se prendre du plomb dans le dos. Ou encore d'être mis en taule par la Corée du Nord pour immigration illégale pendant quelques jours, puis de retour au Sud, d'être remis au froid pour quelques temps pour avoir fui vers le Nord.

Aurais-je omis de vous parler des mines antipersonnel qui pullulent dans la région ?

Parmi les destinations touristiques, on peut notamment descendre dans l'un des tunnels d'infiltration. Depuis les années 1970, la Corée du Sud a découvert quatre tunnels creusés passant sous la DMZ dans un plan foireux du voisin communiste d'envahir Séoul en prenant le chemin des taupes. Il y a probablement d'autres tunnels dans le secteur, mais les cousins méridionaux ne sont pas stupides au point de dévoiler toutes leurs cartes. Toutefois, je trouve l'idée de faire visiter les tunnels aux touristes comme un acte de troll particulièrement élaboré. Chapeau !

Photos interdites dans le tunnel. Tant pis, je vous présente la stratégie marketing innovante du moment : l'eau de source de la DMZ, qui a le goût du plomb, du sang et de l'acier
On peut aussi manger la souffrance d'un peuple par packs de 10 kilos.

Depuis la reconnexion de la voie ferrée entre les deux Corées voilà quelques années, la Corée du Sud a construit une station de train flambant neuve à Dorasan. Grande, belle, aérée et fonctionnelle mais vide. En effet, le Nord ne voulant aucune visite de son voisin septentrional, aucun train ne passe pour les voyageurs - ce qui est dommage, car le réseau est connecté au Transsibérien et permettrait un retour bien funky Gare de l'Est.

Fail.

Mis à part une station de train mise unilatéralement en grève, il y a aussi un observatoire à Dorasan d'où l'on peut voir un beau panorama sur la Corée du Nord. Pas besoin d'une carte pour discerner la frontière : il y a des arbres d'un côté, des montagnes pelées et des plaines dénuées de toute végétation de l'autre. Le Mordor, en somme. Notre guide a eu une petite explication sur ce phénomène :

"Au Nord, ils n'ont plus rien à se mettre sous la dent, alors ils ont abattu tous les arbres pour les manger". Pause. "Nan, je rigole". Pause. "Mais c'est vrai qu'ils meurent de faim." 

La Corée du Nord comme vous ne la verrez jamais. L'image a été prise du plus près possible, les militaires n'aiment pas trop qu'on prenne les détails de la frontière en photo



Mais sachez que la pire menace de la Corée du Sud ne vient pas de l'autre côté de la frontière, mais bien de ses propres rangs. Plus particulièrement, de la part de la ménagère de plus de 40 ans *grondement de tonnerre* : l'ajuma ! Si le mot signifie "tante" en coréen et s'applique à toute femme mariée, il désigne une réalité tout autrement terrifiante.

Un gang d'ajuma venant de racketter un goûter. Terrifiant.
Pour faire simple, je vais vous faire une explication en deux points. D'une part, vous avez les jeunes Coréennes. Génération du boom économique, elles ont plus de moyens que leurs parents au même âge et en profitent, étant autant voire même plus fashion que les Japonaise. Et surtout, alors que l'arme de choix des Japonaises est le maquillage (porté à un niveau très élevé avec le recours massif aux accessoires et autres faux-cils - Européennes, vous pouvez pas test), les Coréennes emploient sans vergogne une toute autre technique : la chirurgie esthétique. Et là, je suis à peine en train de généraliser : il n'est pas rare de se voir offrir une nouvelle paire de seins ou un nouveau menton/nez comme cadeau de fin de lycée. Du coup, la Coréenne-type ressemble à ça (ou c'est plutôt ce qu'elle tient pour modèle à suivre).

Girls' Generation, l'un des groupes de K-POP à succès avec l'un de ses plus grands hits : Gee


Après avoir passé 20 ans à sembler en avoir 18, la Coréenne finit par se faire rattraper et même dépasser par le temps. Du jour au lendemain, elle range ses jeans moulants au placard et se met à acheter des fringues à 3€ au marché de Dongdaemun pour toute la famille. En même temps, elle libère brutalement toutes les frustrations qu'elle a accumulé durant sa vie et devient un être terrible sans foi ni loi, qui balance son sac dans le métro pour réserver sa place, qui grille les files d'attente et qui ne se gêne pas pour commenter à voix haute l'allure et l'attitude des jeunes. La lolita se transforme en un dragon à la coiffure de grand-mère, vêtu d'un survet, de chaussures de randonnée et d'une visière hideuse contre le soleil. Et comme la société coréenne est basé sur le respect des anciens et l'obéissance à leurs commandements, les ajumas bénéficient d'une immunité totale, faisant leur loi et semant la terreur tels une bandes de loubards désœuvrés.

L'ajuma approuve cet article

Les autorités ont trouvé un moyen de contrer la menace : poster des machines de muscu aux endroits les plus improbables mais fréquentés par les ajumas, comme les parcs ou les montagnes


Mais fort heureusement, il est un lieu en Corée où les tensions générationnelles s'apaisent et où tous les Coréens, sans distinction de sexe, d'âge ni de religion se retrouvent en paix. Il s'agit d'un endroit merveilleux que je n'aurais jamais connu si Julien n'était pas là pour nous guider. Il s'agit du Jjimjilbang.

Tout n'est qu'amour, ordre et beauté
 
Parfois appelé sauna coréen, le Jjimjilbang remplit le même rôle que le sauna finlandais ou l'onsen/sentô japonais : il s'agit d'un endroit où se purifier, se relaxer et socialiser. Il est composé de deux parties : la première ressemble trait pour trait aux bains publics nippons, séparés pour les hommes et les femmes où l'on se baigne dans des bassins d'eau plus ou moins chaude après s'être lavé, bref, où l'on prend la vie du bon côté. Mais une fois qu'on est propre comme un sou et qu'on a assez barboté, on revêt une sorte de pyjama de couleur (rose pour les femmes, bleu pour les hommes) et on descend dans la salle commune. C'est là qu'on atteint le Jjimjilbang proprement dit, où l'on sue, mais pas seulement.


 Voyez-vous les portes au fond ? Ce sont les différents saunas à la coréenne, chacun ayant une ambiance particulière et une température précise. Celle-ci va de 20°C à... 90°C, l'humidité variant selon les chambres. Passer d'un extrême à l'autre fait un bien fou, tantôt allongé sur un tapis de sable, tantôt sur un lit de cailloux, ou encore assis sur une natte. Et quand on veut prendre une pause, on revient dans la salle commune et on s'installe sur un matelas, grignotant quelques snacks et sirotant des boissons traditionnelles à base de riz en regardant un drama sur le grand écran de la TV. Certains s'y endorment et y passent la nuit, notamment les jeunes couples qui veulent passer un moment romantique ensemble sans franchir le pas pour autant. Il est difficile de retranscrire l'ambiance à l'écrit, mais sachez que c'est un endroit merveilleux et l'un de mes meilleurs souvenirs de la Corée.


Il y a bien d'autres choses encore que je n'ai pas eu le temps de faire ou de voir. Les parcs nationaux aux paysages impressionnantes, ou encore les séjours dans un temple en montagne sont passés entre les mailles du filet... pour cette fois. Mais alors que je quittais le pays, achevant par la même occasion ma dernière incursion à l'étranger en cette année d'échange, une parade improbable est passée me souhaiter bon vent à l'aéroport...


"Ciao baby, see you next time"