jeudi 26 janvier 2012

Waseda : mode d'emploi

Waseda en Novembre

Ca y est, c'est fini, j'ai terminé mon semestre à Waseda.
... mon premier semestre.

Eh oui jeunes gens, pendant que certains d'entre vous ne sont plus qu'à quelques mois de la fin de leur année d'échange, je n'en suis encore a peine qu'à la moitié ! Et ce n'est pas tout, car je suis maintenant à l'aube des deux mois de vacances - les grandes vacances japonaises - qui séparent les années fiscales et scolaires 2011 et 2012. Amis Australiens, vous qui nous avez nargué à grands coups de photos, dansez maintenant !
Mais plus étonnant que cela, en l'espace d'un semestre entier, je n'ai pas écrit un seul article a propos de Waseda... Il est grand temps que je vous présente en détail l'institution que j'ai découverte en arrivant et à laquelle je me suis familiarisé comme un poisson à son aquarium.

Commençons par un petit topo historique. De par le monde, de nombreuses universités sont profondément liées à la vie de leur fondateur, à qui elles font de nombreuses références jusqu'à en vouer un véritable culte. Waseda ne fait pas exception tant sa naissance et ses premiers pas ont été mêlés à la vie de son créateur, Shigenobu Ôkuma. Né dans une famille de militaires à la fin de l'ère Edo, il a découvert la littérature et les langues occidentales dans la période de ses vingt ans et, sentant que les choses ne tournaient plus rond sous la coupe du shogun, prit un rôle de premier plan dans la Restauration Meiji à l'aube de ses trente ans. Meiji reprenant les rênes du pays, Ôkuma se vit attribuer une place de choix au gouvernement dans les Affaires Etrangères, puis au ministère des Finances. Divergeant profondément avec la bureaucratie Meiji et les autres ministères, il se fit renvoyer du cabinet en 1881. Sans doute bouillonnant de rage, il fonda en 1882 son propre parti progressiste puis l'Ecole spécialisée de Tokyo (Tôkyô Senmon Gakkô) destinée à former des esprits éclairés prêts à prendre la tête du pays - comprendre : différents des rapiats de la bureaucratie. Devenant officiellement une université en 1902, elle prend le nom du district où elle s'est implantée : Waseda.

Notons que par la suite, Ôkuma a été réintégré au gouvernement dont il a été le Premier ministre en 1898 et en 1914-16, se retirant de la politique puis y revenant au fil des évènements sans lâcher son poste honorifique de président de Waseda. Ne nous faisons pas d'illusions, c'est sans doute grâce à la position d'Ôkuma que Waseda a acquis sa réputation et est devenue ce qu'elle est maintenant. Remarquons également qu'il a été victime d'un attentat anarchiste en 1889 qui lui a arraché sa jambe droite, remplacée par la prothèse la plus moderne de son temps.

Malgré son air patibulaire, Ôkuma était paraît-il d'une très grande gentillesse.

Fermez vos livres d'histoire, la leçon est terminée. Mais qu'est donc Waseda aujourd'hui ? Avec 8 campus disséminés jusqu'à Kyûshû, 13 Undergraduate schools, 22 Graduate schools, 21 instituts de recherche, 5.885 enseignants et 53.622 étudiants, il s'agit de l'université privée la plus cotée du Japon, au coude-à-coude avec l'université Keio. Si cette dernière est particulièrement renommée pour sa faculté d'économie, c'est la faculté de littérature qui fait la fierté de Waseda. D'où une rivalité ancestrale alimentée à grands coups de clichés, les étudiants de Keio étant vus comme de bons partis, sérieux et fortunés (des richards coincés diraient leurs rivaux) tandis que les étudiants de Waseda sont parfois vus comme des pochards allant dépenser jusqu'au moindre sou en boisson.
Cela n'empêche pas la renommée de l'université d'être bien établie, attirant en 2011 113.653 candidats pour 5.630 places. Soit moins de 5% d'admission. Il va sans dire que les diplômés de Waseda ont toutes les perspectives d'une grande carrière, allant de l'écriture (Haruki Murakami) à la fonction de Premier ministre (7 depuis l'après-guerre) en passant par la direction des entreprises majeures (6 PDG parmi les 500 plus grandes entreprises internationales) et le sport de haut-niveau (5 champions olympiques). Par ailleurs, Waseda est considérée comme l'université la plus "internationale" de l'archipel, disposant de 10 bureaux à l'étranger et accueillant le plus grand nombre d'étudiants étrangers, réguliers ou en échange (2.435 personnes en 2010). La classe.

Le PDG de Uniqlo, lui aussi, est diplômé de Waseda

Mais où suis-je dans tout cela ? Alors que la grande majorité des étudiants d'échange passent un semestre ou deux dans la School of International Liberal Studies (SILS) parmi les étudiants japonais réguliers, j'ai choisi la seconde voie, celle que peu de monde connaît et qui laisse perplexe les Japonais peu au courant du système de partenariats : le programme Bekka (pour Bekka Nihongo Senju Katei alias "Cursus spécial de la langue japonaise"). Rattaché uniquement au Center of Japanese Language (CJL), ce programme n'est affilié à aucune faculté ce qui nous donne parfois l'impression d'être des étudiants de seconde zone (ouaip, j'ai pas été invité aux dîners des SILS et j'ai la haine). Mais là où on met les SILS à l'amende, c'est dans la rapidité de l'apprentissage du japonais. Oui, on étudie la langue... mais on ne fait que ça 13 ou 14 heures par semaine !

Le cursus repose sur un système de niveaux de maîtrise de la langue, 1 représentant les faux-débutants (il faut avoir étudié ne serait-ce qu'un brin de japonais pour postuler au programme) et 8 les maousses bilingues qui font du commentaire de textes. Le niveau est théoriquement déterminé par un test en ligne, le J-CAT, qui est tellement de l'arnaque qu'on peut s'inscrire au niveau qu'on veut quels que soient les résultats. Je me suis donc retrouvé au niveau 4, pile au milieu, qui correspond à intermédiaire-avancé.

Une fois son level déterminé, on choisit les cours en pack ou à la carte de manière à obtenir le bon nombre de crédits. Comme partout ailleurs, le choix des cours est une fonction complexe entre intérêt porté pour la matière, facilité d'avoir les crédits, réputation du professeur et horaire du cours. Vu qu'on ne sait rien des profs, l'équation est simplifiée et les horaires prennent une importance considérable : divisée en 7 périodes de cours d'1h30, la journée court de 9h à 21h25 avec 10 ou 15 minutes de battement ainsi qu'une pause-repas minus de 12h10 à 13h. Malheur à qui prendrait des cours après 18h, la journée standard allant de la 1ère ou 2ème période jusqu'à la fin de la 4ème ou de la 5ème ; et encore, 4 périodes dans un même jour, c'est lourd.
C'est donc ainsi qu'on fait son petit cocktail entre Intensive Japanese (Standard ou Intensive), Drills and Practice (cours spécialisés dans l'étude des kanji, de la prononciation et de la grammaire), Japanese for Thematic Interaction (des cours de communication ultra cloisonnés qui ont l'air d'être tout sauf motivants) et Theme courses (des cours thématiques d'une période par semaine qui sont de loin les plus intéressants). Le problème dans tout cela, c'est que les cours les plus passionnants sont ceux qui requièrent les niveaux de japonais les plus élevés... C'est en forgeant qu'on devient forgeron, il faut commencer par renforcer les bases avant de construire du solide par-dessus. Voilà donc les cours que j'ai choisis au premier semestre :

Ce choix de cours vous est présenté par Waseda Bear, la mascotte de l'université. Notons que le nom Ôkuma peut aussi signifier "grand ours"...
  • Intensive Japanese (Standard) 4
Le cours de base de mon cursus, celui qui m'a fait me lever le plus souvent et pas toujours avec un grand enthousiasme. Avec 7 périodes de 1h30 par semaine regroupées en 3 séances pour 7 crédits, c'était mon cours le plus important. Qu'y a-t-on fait ? Une synthèse du japonais sous toutes ses formes, que ce soit la compréhension écrite, l'expression orale ou l'expression écrite. Et puis des tests. Chaque séance, petit contrôle de kanji, de grammaire ou de vocabulaire pour bien commencer la journée et vérifier les acquis. J'ai été régulièrement blasé par l'aspect ultra-scolaire de la matière et l'impression d'être revenu au lycée, mais le dynamisme de mes trois professeurs - que ce soit Mlle Mikogami, sublime japonaise de 1m80 (!) pas encore trentenaire et fan de hula-hoop, Mme Morikawa et ses talents d'imitateur ou encore la très bonne vivante Mme Kuramochi - a mieux fait passer ces longues heures à s'arracher les cheveux sur des textes trop enthousiastes pour être honnête portant, entre autres, sur la merveilleuse structure de la goutte d'eau ou comment la couleur des habits qu'on porte reflète inconsciemment son humeur.
  • Pronunciation 4
Sans doute le cours le plus controversé. Si la première impression a été vraiment mauvaise quand on s'est retrouvés à lire l'alphabet syllabique (qu'on connaît depuis le premier mois d'étude de la langue) et à répéter "Dizuniirando" pendant plusieurs heures en accumulant les Captain Obvious, le cours est vraiment devenu utile quand on a abordé la question de l'accent des mots. En gros, j'ai découvert que tous les mots japonais ont une accentuation particulière sur deux tons et qu'une erreur dans l'accentuation montante ou descendante change "Coupez, s'il vous plaît" à "Donnez-moi un timbre, s'il vous plaît". Ce cours a globalement été une bonne expérience, et si je n'ai peut être pas incroyablement amélioré mon accent, j'ai au moins appris quelques trucs utiles et fait la connaissance de la très attentionnée Mme. Okubo.
  • Kanji 5
Celui-là, il a été douloureux. Je voulais apprendre des astuces pour mieux comprendre la logique des kanji, leur graphie et leur mémorisation, mais aussi et surtout pour étudier et retenir de nouveaux signes. Ce dernier objectif a été atteint avec succès : j'ai appris à peu près 230 nouveaux kanji + leurs composés, ce qui peut faire monter le tout à un millier de nouveaux mots. Un pas de plus vers la lecture des journaux en japonais. Mais ça ne s'est pas fait dans la douceur : chaque semaine, contrôle sur une liste d'une vingtaine de signes et leurs composés, ce qui représente beaucoup de travail personnel. Et comme on ne peut pas nous les faire apprendre à notre place, le véritable boulot s'effectue en-dehors de la salle de classe. Le cours en lui-même n'était pas très folichon, consistant surtout à chercher une application aux mots qu'on a appris, à chercher les antonymes ou encore à deviner la lecture d'un signe selon sa configuration. Malgré toute la bonne humeur de Mme. Koike, l'heure et demie hebdomadaire s'est plus approchée de la perte de temps que de l'enseignement de trucs et astuces vraiment utiles. Mais paradoxalement, je ne regrette pas d'avoir choisi ce cours.
  • Formal and Informal Expressions in Spoken Japanese - Learn from Dialogues 3-4
Ce cours de Mme. Koike (une autre) est plus révélateur sous son titre japonais (男女会話から学ぶ...) qui veut dire "Apprenons à partir de dialogues entre hommes des femmes", suivi du sous-titre "Langage poli, langage familier". On a donc étudié la double-distinction entre langage respectueux et familier et entre langage masculin et féminin, apprenant comment ces quatre variables se mixent, comment reconnaître quelle façon de parler est typique de quel genre et comment les utiliser. Malgré un début un peu poussif, ce cours s'est avéré être l'un des plus utiles en explicitant les différences dans la foule de suffixes utilisés en langage parlé, mais aussi en empêchant de passer pour un travelo ou un malpropre dans la communication de tous les jours. L'apprentissage s'est fait par le biais de vidéos ou de scripts de dialogues qu'il fallait, selon les cas, traduire en langage poli ou inverser le sexe des locuteurs.
  • The mind of Japanese Expression and Communication : for Mutual Understanding 3-4
Derrière un titre alambiqué se cache un cours que j'ai souvent confondu avec Formal and Informal Expressions... vu le niveau de ressemblance des deux enseignements. Ici aussi, on apprend toutes sortes de formules très utiles pour la communication avec les Japonais dans des situations concrètes : que dire quand on est invité chez quelqu'un, comment refuser poliment, comment exprimer une opinion contraire, comment écrire une lettre/un mail, etc... Toutes ces connaissances ne sont pas restées sur le papier, mais ont été mises en pratique par la présentation de sketchs et la rédaction de dialogues. Bref, j'ai été plutôt satisfait par ce cours de Mme. Utsunomiya bien que certaines séances, un peu longuettes, m'ont plus donné envie de finir ma nuit ou de lire des contes de fées sur mon dictionnaire électronique plutôt que de participer activement.
  • Analyzing Japan and Japanese language based on the Seasons 3-4
L'un de mes cours préférés. Sous la houlette de l'ultra dynamique Mme. Okuhara, on a étudié de très nombreux traits culturels japonais basés sur les saisons - qu'il s'agisse de festivals, de coutumes de fin d'année ou de ce qu'aiment faire les Japonais selon le moment de l'année - par le biais de vidéos, d'explications concrètes de la prof ou encore d'exposés. C'était vraiment très intéressant dirait la COGIP, d'autant plus que j'ai pu en tirer beaucoup de matériel pour les articles de ce blog et y faire mes premières armes en calligraphie extrême-orientale. Mais je n'ai toujours pas compris pourquoi 98% des étudiants de ce cours étaient des Chinois...
  • Contemporary Japanese Society and Culture 4-5
Un autre de mes meilleurs cours. Chaque semaine, nous avons étudié des articles de journaux ou des extraits d'ouvrages soigneusement sélectionnés par Mme. Moriya traitant de divers aspects de la société japonaise. Parmi les thèmes abordés : la recherche du premier emploi et les problèmes qui y sont reliés, l'évolution contestée de la langue japonaise, les superstitions japonaises, etc... Après chaque unité, nous étions appelés à écrire un petit essai sur le thème et de le présenter en classe lors de discussions de groupe. C'était donc passionnant, mais le niveau tournant bien plus au 5 qu'au 4, j'ai été largué plus d'une fois.
  • Grammar (2) 4
J'ai été longtemps perplexe quant à ce cours. Comme son nom l'indique, ce cours nous enseignait la deuxième partie de la grammaire de niveau 4... ce qui consistait à voir des formes grammaticales dans un livret, à lire et écrire des phrases-types puis de passer à la forme suivante. J'ai mis quelques temps à apprécier Mme. Maegawa, mais c'est dans la deuxième partie du semestre que j'ai mieux perçu l'utilité du cours qui, à défaut de m'aider fondamentalement dans les dialogues de tous les jours, me permettra au-moins de mieux comprendre certaines nuances dans les textes formels.
  • Communication at Workplace 3-4
Le troisième de mes cours préférés. Il s'agit basiquement d'un cours de keigo - le langage honorifique, la bête noire des étudiants du japonais - mais d'un keigo appliqué à des situations concrètes liées au monde du travail. Par exemple, comment accepter ou décliner une invitation, comment demander la permission de faire quelque chose, comment offrir son aide, etc... le tout décliné en deux volets : envers un égal et envers un supérieur. Et, cerise sur le gâteau, tout était basé sur des clips vidéos au potentiel comique énorme dépeignant la vie quotidienne de Jean Grée et de Nancy Star, deux stagiaires étrangers dans la compagnie japonaise de commerce international Ôkuma. Le jeu d'acteur mérite un oscar. Chaque séance était donc l'occasion d'un grand fou rire dès qu'apparaissaient à l'écran le très concentré Jean Grée, le très attentionné chef du bureau ou encore le lascar de collègue qui semblait toujours se payer la tête des deux gaijin. Avec le tout chapeauté par la comique et dynamique Mme. Senda, c'était un cours exceptionnel que je recommande à tous.

Le chef de bureau approuve cet article


Laissez-moi à présent vous présenter en un coup d’œil les principales attractions de l'université réparties sur les deux plus grands campus du coin : le campus principal de Waseda et, à cinq minutes à pieds de là, le campus de Toyama.
  • La statue de Shigenobu Ôkuma

Le fondateur de l'université avec sa jambe bionique.

Située au cœur du campus de Waseda, c'est le lieu de rendez-vous privilégié des étudiants. C'est un peu notre Péniche à nous. Et poussons la ressemblance jusqu'au bout, c'est aussi là qu'on se fait tracter pendant la pause repas par une nuée de militants, de membres de sectes ou de simples larbins.
  • L'auditorium Ôkuma


Le symbole de l'université, construit en 1920 dans un style architectural très particulier. N'espérez pas avoir de cours à l'intérieur, le bâtiment est réservé aux grandes conférences et autres évènement d'exception qui peuvent avoir lieu, mettant en place un système de sécurité éphémère sur la large place devant lui et virant tous les étudiants qui espéraient manger leur bentô sur les marches, au soleil. J'aimerais bien y faire un tour avant la fin, ça m'a l'air d'être ultra classe et ultra solennel à l'intérieur.
  • Le parc Ôkuma

Une partie du parc en été

Une autre partie du parc, en hiver

Le grand parc dans le campus de Waseda. Je croyais qu'il était continuellement fermé aux étudiants jusqu'à découvrir l'autre jour qu'il est bel et bien ouvert, mais seulement à la mi-journée. Le printemps arrivant, je suis sûr que la pelouse sera remplie de monde !


Voilà la toute-petite cafet à l'orée du parc. Rassurons-nous, il ne s'agit pas du grand réfectoire des étudiants, loin de là - il y en a un par campus et il sont énormes. Notons toutefois qu'on peut y acheter des cravates Waseda tout en sirotant du café du même cru. Le tout en portant un T-shirt Waseda sous son sweat-shirt Waseda dans la poche duquel se trouvent des stylos et chocolats Waseda. Ouaip, on dirait bien que le merchandising bat son plein dans cette université. Même qu'il y a des giga-peluches Waseda Bear.
  • Le bâtiment 22


Il s'agit du bâtiment dédié à la langue japonaise où j'ai tout naturellement passé l'essentiel de mon semestre. C'est également là que se trouve la grande salle informatique ouverte 24h/24 dont le système d'impression est tout aussi foireux qu'à Sciences-Po, mais d'une autre manière : 1. il y a cinq imprimantes certes, mais chaque utilisateur doit rallumer l'ordinateur et ouvrir sa session à chaque fois sur les postes attachés pour lancer manuellement l'impression, ce qui prend un temps fou; 2. on doit acheter et se ramener avec son propre papier. Du coup, la queue devant les imprimantes est souvent aussi longue que celle devant les ascenseurs du bâtiment en heure de pointe.
  • La co-op


La co-op, c'est plus qu'un bâtiment, c'est un concept. La co-op est partout ! Pour une participation de 3.000 yens remboursés à la fin de l'année, elle permet d'acheter nourriture, livres, magazines, bric-à-brac à prix réduit tout comme de trouver des billets d'avion pas chers grâce à l'agence de voyage ou un bentô dans les multiples boutiques dispersées à travers le campus. La co-op, c'est la vie.
  • Le Gakusei kaikan (学生会館)

Le Gakusei kaikan vu depuis la rue, campus de Toyama.

Toi qui entre ici abandonne tout espoir, car tu entres dans le temple des étudiants. Une traduction littérale(ment) foireuse donnerait "le bâtiment de rencontre des étudiants". En réalité, il s'agit d'un bordel incommensurable. Imaginez-vous une bâtisse labyrinthique avec deux tours, sept étages, deux sous-sols, des escaliers qui partent dans tous les sens et des ascenseurs qui ne s'arrêtent pas aux mêmes endroits. Ajoutez à ça une foule d'étudiants dans les couloirs révisant individuellement leurs morceaux de musique différents, soulevant une cacophonie infernale d'instruments à cordes et à vent. Enfin, saupoudrez le tout d'équipes de danseurs s'entraînant ça et là pour leurs spectacles, de couturiers fabriquant des costumes et d'autres étudiants se baladant d'étage en étage en portant boîtes, chaises et cartons. Voilà, vous avez un avant-goût de ce à quoi ressemble le Gakusei kaikan. Mais ne nous limitons pas à cette vision de foutoir : ce bâtiment est génial. Chaque club constitué (plus de 700) y possède son local et peut en plus louer des salles de réunion ou du matériel audiovisuel pour organiser des conférences ou autres évènements. Notons également la présence d'un combini, de la salle de muscu au second sous-sol, de plusieurs pièces à la japonaise pour les cérémonies de thé et les clubs de musique traditionnels ainsi que bien d'autres surprises que je n'ai pas encore dénichées.


Carte du campus de Waseda

Voilà voilà, j'ai pris un semestre à bien me familiariser avec le campus - encore qu'il reste bien des choses à découvrir -, le second semestre me permettra sans doute d'en profiter au maximum.

lundi 23 janvier 2012

Comment je suis devenu un homme chez les Japonais


Après ces longs articles thématiques de fin d'année, je vais rebondir sur une petite anecdote - ou peut être pas si petite que ça - qui m'est arrivée début janvier. Mais remontons un peu le temps jusqu'au commencement du mois de décembre, lorsqu'une étrange missive atterrit dans ma boîte aux lettres. Expéditeur : l'administration de Shinjuku.

Au début, j'ai cru que c'était un rappel à l'ordre pour que je paye le montant mensuel de mon assurance sociale - à laquelle les étudiants d'échange doivent cotiser en tant que bons citoyens. Mais un rapide coup d’œil à l'enveloppe m'a fait une piqûre d'adrénaline. Une fois remonté dans ma chambre et la lettre ouverte, je suis tombé sur ça :


Une invitation pour la cérémonie d'accession à l'âge adulte, alias seijin shiki (成人式). J'étais aux nues. Je savais déjà avant mon départ que la majorité au Japon est à 20 ans et les Japonais ont pour tradition de fêter l'accession des jeunes à l'âge adulte, mais étant déjà majeur selon les critères japonais avant d'arriver ici, je me demandais si j'allais être convié. Apprenant après coup que ces sont les mairies qui s'occupent des cérémonies, et n'étant pas un résident de longue date pouvant être inscrit dans d'étranges registres, j'avais perdu espoir avant d'oublier toute l'affaire. Et pourtant ! La surprise n'en a été que plus forte quand j'ai sorti le carton d'invitation de l'enveloppe. J'ai bien fait de payer mes taxes, tiens !

Mais qu'est-ce donc que cette cérémonie d'accession à l'âge adulte ? Je n'en avais qu'une idée très vague de jeunes filles en kimono et de damoiseaux en hakama. Il s'avère que c'est une étape très importante dans la vie des Japonais, à un tel point qu'un jour férié (le deuxième lundi de janvier) a été institué pour permettre à tous d'accéder à cet évènement. C'est à partir de ce moment qu'on quitte complètement l'enfance et qu'on est considéré comme un adulte à part entière sous le Soleil Levant, et c'est à cette occasion qu'on profite des enseignements des aînés pour devenir des hommes et des femmes responsables, qu'on retrouve ses anciens camarades de classe, qu'on se raconte ses vies et surtout qu'on s'habille.

Parler de kimono est abusif : le mot désigne en V.O. tout type de vêtement traditionnel japonais, aussi bien la pièce d'habillement ultra-formelle que le simple, léger et (très) relax yukata de lin porté en été par hommes et femmes. Dans ce qui est l'occasion d'une vie, les demoiselles revêtent les plus beaux kimono, alias furisode (振袖, qui peut se traduire par "manches flottantes"), composés d'un ensemble de trois couches de vêtements noués par une ceinture obi complexe, qui sont faits de soie avec des motifs et des couleurs très détaillées, comportent des manches de près d'un mètre et mettent très longtemps à être mis. L'habillement en lui-même nécessite une tierce personne et prend à peu près 45 minutes (si ladite personne est experte en la matière), et vu qu'il faut ajouter à cela séances de coiffure et de maquillage, certaines filles se sont levées à... 4h du matin pour se préparer. Incroyable.

Les furisode sont aussi extrêmement chers, une poignée de milliers d'euros la pièce, ce qui pose quelques soucis de coût d'opportunité. Rythmant les grands évènements sociaux de la vie d'une Japonaise, il n'est porté que pour le seijin shiki, le mariage et dans certains cas pour la cérémonie du thé. Devant cette utilisation réduite, de très nombreuses familles préfèrent louer le vêtement pour l'occasion plutôt que l'acheter.

En parlant de location, j'ai pensé un moment à louer un hakama pour faire mon beau à la cérémonie. Mais ne voulant pas trop m'afficher en tant que olol gaijin japanese-wannabe, je me suis débiné. En y pensant après coup, je ne pense pas que je me serais fait voir négativement en tant que tel, mais j'aurais plutôt attiré la curiosité bienveillante des habitants. Rien qu'être sur place en tant que non-Japonais a soulevé quelques murmures étonnés, je n'ose pas imaginer ce que ça aurait donné ! Et ce d'autant plus que tous les Japonais étaient habillés en costard sauf deux - mais j'ai presque eu le temps de penser que cette histoire de hakama était en fake.

C'est donc le 9 janvier en tout début d'après-midi que je me suis rendu au cœur de Shinjuku dans un hôtel ultra-classe de la zone. Arrivé au dernier étage, je retrouve par hasard quelques amis étudiants d'échange dont Hanaline habillée d'un flambant furisode, ce qui a été l'occasion d'avoir des prises de consciences bruyantes en mode "Ah mais t'as vingt ans toi aussi ?". C'est ça d'être habitué à être le plus jeune parmi les internationaux... Puis nous sommes entrés dans l'immense salle de banquet où plusieurs personnalités de la circonscription tenaient des discours sur l'âge adulte (sans doute) pleins de recommandations pour leurs cadets.

Si t'es fier d'avoir 20 ans à Shinjuku, tape dans tes mains !

Pendant ce temps, on guettait plutôt le meilleur endroit pour avoir un accès fulgurant au buffet. On dit que les éléphants ne tombent jamais deux fois dans le même piège, et bien pour nous autres étudiants, on ne nous feinte pas deux fois quand il est question de bonne bouffe gratos. L'échec monumental et la longue famine à la réception de bienvenue donnée aux étudiants d'échange de Waseda nous aura transformés en véritables rapaces.

Objectif verrouillé. Etre un pique-assiettes, c'est tout un art.

Les discours s'achèvent, les lumières s'allument et le coup d'envoi est donné. On mange beaucoup, on boit beaucoup (thé, soda, mais pas d'alcool hein, on est désormais majeurs mais Shinjuku ne veut pas nous lancer dans la mauvaise voie), on rencontre des gens au hasard (dont la très sympathique maire de Shinjuku avec qui on a discuté un moment), on admire les kimono et on prend des photos. Tout comme nos camarades japonais.





De nombreux Japonais se sont étonnés qu'on n'ait pas de cérémonie semblable en France. Si on a à la place tout un ensemble d'épreuves informelles attestant qu'on devient un adulte (le passage du bac, l'obtention du permis de conduire, feu le service militaire, etc...) c'est vrai qu'un bon gros évènement du genre serait sympathique. Bien sûr, il est bien plus difficile de l'instituer dans les faits : densité de population différente du Japon et manque d'infrastructures pour l'organiser, financement qui porterait à polémique, etc... Et puis ce n'est sans doute pas tant dans la culture française que ça de commémorer des évènements pareils.

Quoi qu'il en soit, c'était un évènement particulièrement charmant. Merci Shinjuku !

vendredi 20 janvier 2012

Le Nouvel An japonais : quand la tradition réinvente la modernité


Je vous ai parlé du Noël d'ici et de ses grandes différences avec l'Occident - bien qu'il en soit entièrement inspiré. Il y a une raison pour laquelle Noël soit relativement peu fêté et qu'il ne se soit pas vraiment ancré dans les familles : il est entièrement phagocyté par le Nouvel An japonais. Toi qui voulais fêter le changement d'année dans une folle rave party au fond d'une cave avec travestis et feux d'artifice, reprends ton chemin (ou file au Kabuki-chô de Shinjuku) car ici la nouvelle année rime avec tradition et retrouvailles familiales.

Le shimekazari, l'une des décorations traditionnelles du Nouvel An

Respectueux et poli, voilà ce qu’est l’image d’Epinal qu’on a du Japonais typique. Si quelques soirées bien arrosées suffisent à démonter ce préjugé, ces qualités supposées reviennent à la charge en fin d’année. Durant l’ère Edo (1603-1868), les simples gens visitaient leurs bienfaiteurs plus aisés pour les remercier de leur bienveillance et souhaiter qu’ils restent en bons termes pour l’année à venir. De même, c’était à la fin de l’année que l’on réglait ses créances accumulées depuis le mois de juin – les marchands n’étant généralement pas payés au moment de la vente – ce qui donnait à la classe commerçante une bonne raison de faire la fête. Si cette dernière tradition persiste sans doute sous forme de trace dans un quelconque Code du Commerce, la première s’est transformée sous la modernisation et le déplacement croissant de la population en échange de cartes de vœux.

Oui, vous savez, ce petit mot gribouillé à la hâte qu’on envoie en urgence le 29 décembre en priant pour qu’il arrive à destination avant février. Si la tradition a plus ou moins disparu en France, elle est essentielle au Japon et si je n’ai pas trouvé les chiffres de vente exacts, sachez que 3.665.776.000 cartes ont été émises cette année, et si on multiplie le tout par les 50 yen que coûte l’unité, on se retrouve avec un potentiel de 183.288.800.000 yen (soit 1.832.888.000 euros) et donc une source importante de revenus pour la Poste japonaise. Si certains jeunes font leurs rebelles en fanfaronnant qu’ils n’enverront pas de cartes cette année, ils finissent quand même à signer leur paquet de 50 cartes dans le train ou en cours pour les envoyer à temps. Car figurez-vous que pendant tout le mois de décembre, la Poste met en place son service spécial de fin d’année qui, pour toute carte bien référencée et envoyée avant le 24 décembre, GARANTIT la livraison le 1er janvier au matin de bonne heure. C’est à cette période-là qu’on hallucine devant la boîte aux lettres rouge de la Poste, l’ouverture habituellement réservée au courrier international s’étant transformée en une fente spéciale cartes de vœux.

Quand les boîtes aux lettres nous mettent des feintes...

Mais qu’ont-elles donc de si spécial, ces cartes ? Tout d’abord, elles sont rouges (mais ça ne se voit pas sur les images). Ensuite, elles sont imprimées d’une formule de politesse alambiquée toute faite et illustrées de l’animal du zodiaque chinois correspondant à l’année à venir – sauf si on veut faire original et envoyer une photo de sa famille avec un cadre Pikachu. 2012 étant l’année du Dragon, on a eu droit à des cartes de vœux particulièrement stylées.



Etre un dragon n'empêche pas d'être kawaii

Mais pourquoi envoyer des cartes de vœux ? Pour se rappeler au bon souvenir de ses connaissances, donner de rapides nouvelles, signaler un changement d’adresse – le recto de la carte étant entièrement occupé par l’adresse du destinataire…comme de l’expéditeur – ou encore inviter à faire la fête. Notons aussi que la Poste a mis en place après-guerre un système de tombola avec le numéro de série de la carte envoyée, ce qui donne la chance de gagner des premiers prix fort intéressants comme des voitures, des écrans plats, des voyages, etc... juste en envoyant un petit mot pour souhaiter la bonne année. Le succès des cartes de voeux n'en a été que renforcé et tout le monde se frotte les mains. Mais attention ! Même si toutes les cartes de vœux n’ont pas des accents de samba, sachez faire preuve de prudence quand vous recevez ce genre de courrier :


La carte est sobre. Et bleue. Ce n’est pas choisi par hasard, car il s’agit d’un avis de décès. Envoyée à toutes ses connaissances fin novembre, elle signifie qu’il y a eu un mort dans la famille et appelle à ne pas envoyer de cartes de vœux cette année. Deuil oblige.

Pour ceux qui n’ont perdu personne, la fin d’année rime avec les très nombreuses fêtes de fin d’année, alias bônenkai (忘年会), ce qui veut littéralement dire « rencontre pour oublier l’année ». L’expression est aussi limpide qu’un verre de saké. J’ai vu un peu plus de gens bourrés que d’habitude autour de la gare de Takadanobaba tandis que plusieurs panneaux et affichettes autour des portiques étaient liés d’une façon ou d’une autre à l’ivresse, et si ce n’est à sa prévention – rappelons à toutes fins utiles qu’il n’y a pas de répréhension morale de l’ivresse ici –, à son accompagnement. Les bônenkai étant très populaires, chacun fête autant de fois la fin d’année qu’il a de groupes sociaux. C’est ainsi que je suis allé me faire un menu sukiyaki & shabushabu à volonté avec le club de karaté, ce qui a été l’une des meilleurs occasions de manger de la viande et des légumes en grandes quantités dans ce coin du monde. Et avec la délicieuse sauce au sésame, s’il vous plaît ! D’autres se portent plutôt sur le nomikai et finissent 2011 dans une mare de nama-biiru – mais on se rapproche de Niji no Kai, et nous allons y revenir dans un instant.

Exemple de bônenkai bien commencé entre collègues de bureau

Les jours passent et la pression monte. Le 29 décembre, les boutiques et musées ferment les uns après les autres pour l’une des seules périodes de congés de l’année alors que chacun se carapate chez soi pour les VRAIS préparatifs du Nouvel An. Les trains sont bondés, Tokyo se dépeuple et les maisons de province se remplissent de monde venu se retrouver en famille. C’est l’heure du grand ménage de fin d’année pour chasser les restes de 2011 et faire place nette à 2012, le tout sur fond de purification shintô. On fait partout fleurir des décorations traditionnelles qui ont un sens plus profond que les guirlandes de Noël, et c'est à ce moment qu'on se rend compte que le Nouvel An est vraiment une fête (aux racines) religieuse(s).

Kadomatsu, décoration a mettre devant sa porte pour servir de résidence temporaire aux kami venus se joindre à la fête. Se retrouve devant les maisons comme les grands magasins.

Kagami mochi, offrande aux kami composé de deux mochi (voir plus bas) surmontés d'une orange amère. Grand symbole du Nouvel an.

Puis toute la famille met la main à la pâte pour cuisiner les plats du Nouvel An, qui ont cela de particulier qu’ils reposent sur des jeux de mots, des homophonies et autres analogies. Par exemple, ils mangent de loooongues nouilles soba dont la longueur est gage de longue vie, et il y avait une histoire de fèves dont on mangeait un certain nombre pour avoir la prospérité – le tout reposant sur un calembour dont je ne me souviens malheureusement plus. Fail.

La nuit s'avance, minuit approche. C'est l'heure de quitter la maison pour se rendre au temple et se joindre à la foule pour faire le grand compte-à-rebours. Rejoignant les gens de Niji no Kai, je suis allé au temple le plus populaire de Tokyo pour assister au changement d'année : le grand temple Zôjô-ji situé à deux pas de la Tour de Tokyo. J'ai été averti qu'il y aura du monde, mais là c'était plus que furieux. La preuve en photos :

Le temple vu d'en haut

Le même temple vu d'en bas, aussi bondé que le train en heure de pointe

5, 4, 3, 2, 1... HAPPY NEW YEAR ! Les projecteurs s'allument alors que tout le monde ouvre ses mains, faisant un énorme lâcher de ballons dans le ciel tokyoïte. C'est la folie, tout le monde crie, les étrangers balancent des "joyeuse année !" en pagaille, et le compteur sur la tour de Tokyo passe de 2011 à 2012. Au-dessus de nos têtes, c'est un ballet de méduses qui se fondent dans la nuit.

Atmosphère de l'an dernier, répétée à l'identique pour 2012.

Depuis la foule, ben... c'est l'Illumination.

On applaudit, on se serre dans les bras, puis on se fait emporter par la foule. J'ai eu la chance d'arriver jusqu'au portillon d'entrée du temple, mais le reflux de plusieurs milliers de personnes m'a baladé comme un fétu de paille. Et c'est dans cette joyeuse pagaille que je retrouve complètement par hasard Pierre, autre étudiant d'échange de Sciences-Po mais à Sophia University, une bière à la main, qui me souhaite le premier la bonne année, et deux minutes plus tard je tombe sur le groupe d'amis d'Allison à Tôdai (mais sans Allison), ce qui fait quand même deux rencontres incroyables parmi la foule en délire.

Pourquoi les gens étaient si pressés de ressortir ? Sans doute pour goûter au premier verre d'alcool de l'année, de l'amazake sucré fait à partir de riz et vendu pour une bouchée de pain dans la rue par les commerçants tout sourire. De mon côté, j'ai retraversé la ville avec Niji pour se faire un dernier bônenkai jusqu'au petit matin, ce qui a été encore une fois un joyeux foutoir bien que la fatigue ait emporté quelques âmes en chemin. Les plus courageux ont tenu jusqu'au lever du soleil, suivant la croyance populaire qu'assister à la première aube de l'année porte chance pour tout l'an.


Hatsuhinode (初日の出), premier lever de soleil de 2012 sur Tokyo...


Le réveillon est passé, on remballe tout ? Certainement pas ! Le Nouvel an japonais dure encore bien plus longtemps. Pour ce qui est du Premier de l'An, on ne fait rien. Absolument que dalle qui ressemble à du travail. Shabbat total. Rien que faire à manger étant prohibé, on ressort les restes ou bien les ensembles de bentô sucrés vendus rien que pour l'occasion qu'on a achetés à l'avance.

De fait, toute une panoplie de jeux traditionnels du Nouvel an est présente au Japon, que ce soient des éléments bien connus de l'Occident comme les toupies ou les cerfs-volants, ou bien d'autres qu'on peut très facilement comprendre tant ils ressemblent à ce qu'on a chez nous. Il en est ainsi du fukuwarai (福笑い littéralement "rire de la bonne fortune"), où le but est de créer un visage en apposant successivement yeux, bouche, nez et autres sourcils - mais le tout les yeux bandés -, ou du menko, à mi-chemin entre le jeu de cartes et les pogs, où les joueurs possèdent de petites cartes à l'effigie de samouraï ou de personnage d'animé et s'affrontent pour gagner la carte adverse. Si on réussit à retourner la carte de l'adversaire en jetant sa propre carte dessus, comptant sur une bourrasque ou autre effet divin, on la gagne à l'instar des billes de notre enfance. Il y a aussi le hanetsuki, sorte de badminton japonais qui se joue avec des raquettes en bois dont le verso est à l'effigie d'un personnage traditionnel ou, ici encore, de personnages de manga. Il est plutôt émouvant de se dire que tous ces jeux remontent à l'ère Edo, ou plus vieux encore, à l'ère Heian (794-1192) où ils étaient joués par les enfants de la noblesse. Si un lettré du XVe siècle se ramenait et voyait tous les petits japonais y jouer, que penserait-il ? Ou que ces jeux se sont popularisés, ou que nous sommes tous devenus de petits nobles à ses yeux, sans doute.

Partie de hanetsuki à la fin du XIXe siècle selon Hikanobu.

Autre possibilité pour passer le Nouvel an : regarder la télé pendant trois jours. Je ne déconne pas, je connais des gens qui n'ont pas décroché pendant toute cette période. Il faut dire que le programme est bien fourni, entre les rétrospectives annuelles touchant tout et n'importe quoi, les (très) nombreuses émissions de variétés où des équipes de chanteurs s'affrontent sur des tubes éternels, et puis Hakone Ekiden. Ce n'est pas un artiste ou un présentateur-vedette, mais une course de relai célébrissime qui se déroule chaque année les 2 et 3 janvier depuis 1920. Faisant participer 20 équipes des plus grandes universités du Kantô, elle relie Tokyo à Hakone (environ 108 km) pour une course aller-retour sur deux jours qui fait tenir en haleine des millions de téléspectateurs. Ne croyez pas que c'est une petite course de rien de tout : il s'agit d'un des évènements sportifs majeurs du Japon où chaque coureur ne fait pas moins qu'un demi-marathon à tour de rôle avant de passer le relai, et ce à un niveau olympique. Comme chaque évènement d'envergure, Hakone Ekiden a son lot de critiques et de polémiques, avec en vrac l'interdiction faites aux femmes de participer toujours en vigueur, la participation plus que régulée des étudiants d'échange, la pression psychologique faite sur les coureurs et j'en passe. Toujours est-il que j'ai fait un exposé dessus, mais j'ai fini par ne même pas regarder la course...

Il y a une bonne raison à cela : Julien, autre ami de Sciences-Po en troisième année, est venu de Corée pour me rendre une petite visite. C'est ensemble qu'on a fait deux autres activités des plus japonaises et des plus traditionnelles au Nouvel an. Tout d'abord, manger du mochi. Il s'agit d'une sorte de pâtisserie de riz un peu gélatineuse (on appelle d'ailleurs cette texture mochimochi en japonais) qui peut se manger soit grillée soit crue. C'est avec cette dernière forme de mochi que de nombreuses personnes âgées meurent étouffées chaque année, ce qui serait terrible si ça ne me semblait pas comique. Et c'est bien du mochi cru, et je dirais même plus tout juste préparé, et encore plus par nous-mêmes préparé que nous avons pu déguster. Un évènement de Niji no Kai nous a ainsi permis de nous adonner au mochitsuki (餅つき avec le つき de "piler") qui, comme son nom le suggère, consiste à piler virilement du riz gluant avec de grands pilons de bois pour en faire du mochi. On a pu confirmer l'adage : "C'est meilleur quand c'est frais".

Première étape : malaxer le riz gluant et l'eau chaude

Deuxième étape : le pilonner avec toute sa force de Coréen.

Selon la légende, la Lune serait habitée par des lapins faisant du mochi...

Ensuite, on est allés au sanctuaire. Disons plutôt qu'on a suivi la coutume sans le savoir vu que c'est sur place que je me suis rendu compte que la moitié de Tokyo avait eu la même idée, et c'est dans une foule compacte qu'on s'est rendus successivement au sanctuaire Meiji et au temple Sensô-ji d'Asakusa. Les deux plans les plus suicidaires pour les agoraphobes, vu que ce sont les deux sanctuaires les plus courus de la ville...

Il est en effet dans l'usage de se rendre au temple (bouddhiste) ou au sanctuaire (shintoïste) pour prier pour la bonne année et tirer son oracle. Mais ce n'est pas tout : les gens rapportent également les porte-bonheurs achetés l'année passée et en achètent de nouveaux pour les protéger du mauvais sort. Cela s'adresse particulièrement aux victimes du calendrier : chaque année sont révélées des années néfastes de naissances - qui pour une raison étrange ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes - qui appellent à des portes-bonheurs pour être contrées. Amis de 1991, hommes et femmes, soyez sans crainte : nous sommes à l'abri du danger cette année. Pour les autres, je prends les commandes de talismans.

Foule se rendant au temple Sensô-ji à travers boutiques et vendeurs d'amazake


Vente de flèches porte-bonheur à un sanctuaire shinto

Que font les temples et sanctuaires de tous ces talismans caduques de l'an passé ? Ils les brûlent, tout comme la plupart des décorations de l'année nouvelle à l'instar des kadomatsu. C'est ainsi que s'achève le Nouvel An japonais, dans les flammes de la purification et la table rase pour un nouveau cycle de la vie. Ainsi va la voie des dieux, le shintô.


mercredi 11 janvier 2012

Noël au Japon, ou comment se faire un KFC en amoureux

"T'endors pas petit gars, le Père Noël n'est pas encore arrivé."

Lorsque je préparais mon année au Japon, je m'attendais à ne pas avoir de vacances de Noël au Japon. Fort heureusement, je m'étais trompé et les deux semaines de repos accordées par Waseda sont tombées à pic. Après, je m'attendais à ce que les Japonais ne fêtent pas Noël et qu'ils considèrent cela comme une festivité occidentale un peu farfelue qu'on regarde avec un sourire en coin, comme la dernière page de Tintin au Congo où les Africains se mettent à plat ventre au pied du totem érigé à la gloire du Belge à houpette. Fort heureusement, je me suis de nouveau trompé. Quoique Noël ici ne veut pas dire la même chose que Noël en Europe ou dans tout le reste du monde chrétien. Point de référence à Jésus, ici Noël rime avec amour, Santa Kurausu et... KFC. Suivez le guide.

Pour faire simple, le Noël au Japon ressemble autant au Noël en France que le Pepsi au Coca, le Bordeaux au Bourgogne ou PES à Fifa : ça y ressemble, mais c'est complètement différent. En quelle mesure ? Tout d'abord en ce que Noël n'est pas une fête de famille. Dans le cas général, il n'y a pas de veillée au coin du feu, pas de grande bouffe et de petits cadeaux, rien de tout ça et en plus le bon travailleur part bosser le 25. Après avoir travaillé le 24, comme tous les autres jours. Bien au contraire, la célébration de Noël est restreinte aux couples qui se donnent rendez-vous ce jour-là, vont dans des endroits hype comme Disneyland, vont admirer les illuminations de Noël dans les rues avant de se faire des cadeaux entre eux deux et se souhaiter bonne nuit (sans doute). Pendant ce temps, les célibataires passent la journée à leur baitô, dépriment seuls dans un coin ou vont faire des contre-soirées (dites à peu de choses près "soirées de loosers" - ils ont de l'humour ces japonais) entre potes célibs. Et sans doute des gô-kon pour ne pas rester célibataires le Noël d'après. En somme, Noël au Japon ressemble à la Saint Valentin en France, sauf qu'il y a une couche épaisse de kawaii, de mimétisme/adaptation culturelle de l'Occident et deux mois de matraquage commercial.

Si les célibataires n'ont pas de cadeau, il leur reste les minettes d'AKB48 comme lot de consolation

A Rome, faisons comme les Romains, j'ai voulu expérimenter le Noël japonais. Sitôt dit sitôt fait, me voilà parti en rendez-vous galant à Yokohama. Très jolie ville qui sent la mer à 45mn du cœur de Tokyo, avec un secteur côtier ultra-futuriste (Minato Mirai, alias "Port du futur") et un Chinatown très coloré à la nourriture délicieuse. C'est fou comment cette petite escapade d'une vingtaine de kilomètres a donné l'impression d'être allé à l'autre bout du monde. Evidemment, nous n'étions pas les premiers à avoir pensé à une escapade à Yokohama, grand classique à Tokyo... Les lieux les plus touristiques étaient un peu bouchés, mais on a tout de même pu croquer un grand morceau de ciel bleu - et des Gomadango (胡麻団子), alias des boulettes de pâte enrobées de sésame et fourrées à la pâte de haricot rouge.

Le secteur de Minato Mirai

24 décembre au Japon. Y'a pire.


Glace de Noël, avec des Frosties dedans


Chinatown ultra-bondé mais authentique

C'était bien sympa de faire coucou aux Chinois de Yokohama, mais je suis sûr qu'ils se fichent de Noël encore plus que les Japonais. Retour à la case maison le soir venu pour faire un tour à Roppongi. Quand on m'avait parlé des illuminations de Roppongi, je croyais que c'était juste des décorations lumineuses classiques comme on pourrait en voir sur les Champs-Elysées ou encore rue Diderot pour ceux qui habitent le 52. Eh bien que nenni, il s'agissait d'un véritable spectacle son et lumière lancé à une heure précise avec file d'attente dans un froid mordant. Mais ça a valu le coup d’œil tout de même !


C'était joli, féérique, envoûtant avec des lumières qui volaient dans tous les sens et une Terre qui apparaissait de temps à autres, mais ça durait 1 mn 30 et ça tournait en boucle.


Quand vient l'heure du dîner du Noël, on se rend compte qu'il y a certaines barrières culturelles qu'on n'a pas envie de franchir : je parle bien sûr des traditions culinaires. On s'attend très bien à ne pas avoir dinde, foie gras et bûche glacées de ce côté de la Terre, c'est comme ça, mais de là à imiter les Japonais, l'écart est un peu trop grand :


Oui, vous aurez reconnu le Coloner Sanders, roi du poulet frit, que de nombreux jeunes japonais confondraient avec le Père Noël. Au Japon, le repas de Noël, c'est KFC. MAIS MON DIEU POURQUOI ?? Il semblerait que cette tradition découle d'un énorme coup marketing. Dans les années 1970-80, KFC était la seule chaîne de restauration fournissant des volailles entières pour les familles expatriées basées au Japon. Imitant les expats' pour passer un vrai Noël à l'Occidentale, les Japonais se sont mis à fréquenter le KFC en recherche de poulet frit, puis de fil en aiguille et le tout lourdement appuyé par une campagne de communication très efficace de la part de la chaîne, le menu de Noël KFC s'est imposé comme le camarade du sapin décoré. Remercions aussi le changement de génération, les enfants des 70-80es étant à présent chefs de famille, c'est eux qui choisissent le poulet frit pour Noël pour poursuivre leurs usages familiaux et pérennisent la tradition. Le succès est tel que de nos jours, le chiffre d'affaire de la chaîne est multiplié par 4 autour de la Nativité et les commandes affluent plus d'une semaine à l'avance. Qui l'eût cru trente ans auparavant ?

Eh non, je ne vous raconte pas de conneries.

Toujours est-il que je n'avais pas franchement envie d'un bucket de Noël et que jouer aux Japonais, c'est bien, mais porter sa tradition annuelle à l'autre bout du monde et la partager avec d'autres étudiants d'échange, c'est mieux. C'est pourquoi on s'est fait un bon gros dîner de Noël dans le dorm où chacun y allait de sa spécialité : Italiennes pour la pasta et la salade de fruits, Danoise pour le riz au lait, Taiwanaises pour les gyôza et omelettes taiwanaïses, Suédois pour le pop-corn (allez chercher le lien), Finlandais pour ma part en préparant du pain d'épice de là-bas, et j'en passe. Le tout était relevé par une ambiance intime à base de guirlandes, de bougies et de chansons de Noël et de vin chaud. Etant une dizaine de convives et chacun ayant mis la main à la pâte d'une façon ou d'une autre, on a mangé pour un mois ou deux.

Ca, c'est un repas de Noël qui a la classe

Le fameux riz au lait, que je suis visiblement venu à aimer après 14 ans d'abstention

Même la mascotte voulait nous rejoindre du haut de son perchoir

Les pains d'épices dont il est question plus haut


Cadeau-surprise : la vaisselle post-banquet.

Bref, j'ai fêté Noël au Japon.