mardi 15 novembre 2011

Des ninjas dans la ville

Quand on pense au Japon, la première chose qui vient en tête est le triptyque geisha/samouraï/ninja. Rajoutez les cerisiers en fleurs et le mont Fuji en arrière-plan pour avoir la plus parfaite image d'Epinal. Mais c'est là qu'on se dit que c'est faux, que le Japon d'aujourd'hui c'est la métropole tokyoïte, l'héritage des bombes nucléaires, les karaokés, l'électronique pas chère et les mangas. Puis on embraye sur le modèle de développement économique, l'industrie du jeu vidéo, la gentrification de la population japonaise...

Stop ! On s'arrête là.

Vous pensez que les ninjas n'existent pas ? Comment pouvez-vous en être si sûrs ?
Quelqu'un vous l'a dit ?
Et si toute votre vie, on vous avait fait croire que les ninjas n'existent pas ?

Ils existent. Je les ai vus. Ils ne font que se cacher parmi nous.

La petite histoire remonte à un peu moins d'un mois. J'étais allé à un nomikai de mon club de karaté où se trouvaient, outre le maître et les autres sportifs, les anciens membres du club désormais salarymen. J'ai rencontré parmi eux M. Tsumura, un jeune marié très sympathique passionné par la France où il a déjà fait plusieurs voyages. Il me donne sa carte de visite, je lui donne mon Facebook, on garde contact.

Il y a deux semaines, il me convie à un dîner avec sa femme, francophile depuis toujours. On se donne rendez-vous à la station de métro Waseda, je fais connaissance avec Madame et on y va. Où ça ? Au Ninja café, à Akasaka.

On a mis cinq minutes à chercher l'emplacement exact du restaurant, et pour cause : il est presque invisible. Pris entre deux chaussées avec une façade noire ondulée uniforme sans fenêtre ni signe particulier, il se fond dans la nuit. Seul un présentoir discret planté devant l'entrée trahit la présence de l'établissement.

Une forteresse.

En entrant, on se retrouve dans un petite pièce où ne se trouve que le réceptionniste à son office. Une fois la réservation vérifiées, il tape deux fois dans ses mains et lance un ordre. Une femme ninja surgit d'une porte dérobée, comme tombant du plafond. Elle nous emmène à travers une autre issue secrète vers une succession de couloirs plongeant dans les profondeurs de la Terre. Il fait sombre, les souterrains sont étroits, les murs sont de roche et les pièges sont nombreux. Passé le pont-levis, on se retrouve dans une forteresse ninja : un véritable dédale autour de bâtiments massifs à la lueur des torches. Ambiance incroyable. Notre guide nous emmène jusqu'à notre table, située dans une alcôve avec des murs en pierre brute, puis disparaît. Un autre ninja aux bras musclés se mettra à notre service par la suite.

Notre loge et l'arbre aux shurikens - comestibles

La nourriture était excellente, le nom et jusqu'à la présentation des plats étant relié d'une façon ou d'une autre aux ninjas. Le plus impressionnant n'était cependant pas le menu, mais le ninja spécialiste qui est venu nous voir au milieu du repas. Le visage à moitié dissimulé, une mallette à la main.

J'ai déjà rencontré des magiciens et autres prestidigitateurs auparavant, mais celui-ci ne joue pas dans la même catégorie. Il y a bien sûr les tours banaux quoique bluffants des cartes qui apparaissent de nulle part, des pièces invoquées par le Saint Esprit et autres tours de passe-passe, mais là où j'ai été tué, c'est quand on m'a demandé de tenir fermement l'intégralité des cartes entre mes deux paumes. Le ninja a tiré une première carte - ce n'était pas la bonne, mais c'était prévu et le bonhomme l'a sortie au second tirage. Puis il a malaxé son chakra ou je-ne-sais-quoi pour faire apparaître une carte devant lui. Echec. Echec ? Non, car ce n'est pas une carte qu'il a fait apparaître, mais c'est l'ensemble du deck qu'il a fait disparaître d'entre mes mains ce bâtard. A la place se trouvait un morceau de plexiglas rectangulaire, et je n'y ai vu que du feu. On était effondrés, tous les trois. J'ai vérifié mon portefeuille après coup, on ne sait jamais ce qu'il peut arriver avec cette racaille. N'oublions pas que les ninjas sont des voleurs espions avant tout.

Un autre ninja nous a raccompagné à la sortie - où on s'est retrouvés comme par miracle. En chemin, il m'a demandé tout naturellement d'où je venais. J'aurais pu le troller en disant Paraguay ou Ukraine, mais j'étais tellement fou qu'un ninja m'adresse la parole que j'ai joué la carte de la vérité. Et là, devant la porte, il nous a sortis deux parchemins de nulle part qui font bien rêver.

Ninja seal of approval

Une autre chose qui a fait rêver, c'est que j'ai mangé aux frais de la princesse, M. Tsumura s'étant chargé de régler pour moi. Pourquoi ? Parce que je suis son kôhai. Je vous avais déjà parlé de la relation sempai-kôhai dans l'article consacré à l'alcool, mais il faut voir que c'est beaucoup plus profond qu'un simple bourrage de gueule imposé. A partir du moment où il y a une différence d'âge significative entre les deux parties, le sempai paye systématiquement pour son cadet parce que ses propres sempai ont payé pour lui du temps où il était kôhai. On a ainsi une chaîne intergénérationnelle qui se fait, un échange de générosité et de soins ininterrompu depuis la nuit des temps (ou peu s'en faut). Et ça, c'est beau. C'est un visage du Japon qu'on n'a pas tant l'occasion de voir depuis l'Occident. Et c'est tout autre chose que l'amalgame Japonais = ninjas = Naruto.

Encore que Naruto lui-aussi casse la dalle aux frais de ses aînés.

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