jeudi 10 novembre 2011

Sôkeisen ou le match des titans

Si la fin du mois d'octobre rime habituellement avec Halloween, citrouilles, squelettes et compagnie, c'est un peu différent à Waseda. D'une part parce que pas mal de monde n'en a rien à cirer d'Halloween, et d'autre part parce qu'un évènement autrement plus important a éclipsé le sabbat des sorcières :

早慶戦
(Sôkeisen)

Avec le 早 de Waseda (稲田), le 慶 de Keio (応) et le 戦 de sensô (争) qui veut dire guerre, le sens s'éclaire. C'est la baston entre les deux universités rivales, la crème fouettée de l'enseignement supérieur privé, la bataille des deux frères ennemis, j'ai nommé le match de baseball semestriel entre les universités Waseda et Keio ! Etant l'évènement sportif le plus attendu par les étudiants de ma fac, on peut comparer ça à notre Crit à nous. Sauf que les tickets sont à 500Y (5€) et que ça a toute une autre dimension.

Sôkeisen est toujours le match de clôture de la Ligue des six universités de Tokyo, qui se tient chaque année au printemps et à l'automne. Il est donc systématiquement retransmis à la télé par la NHK (le France Télévisions japonais) et le score s'affiche sur la une des grands quotidiens nationaux. Et on en fait des films aussi.

"Last game : le dernier Sôkeisen", un drame social très engagé autour du baseball, de la jeunesse et de la Seconde Guerre Mondiale.

C'est bien beau tout ça, mais ce n'est pas pour le match en lui-même que toute la faune de Waseda se presse. Car derrière les joueurs, c'est dans les tribunes que la véritable compétition se fait : celle de l'ambiance. Et ceux qui mènent la danse sont les véritables combattants : les Ôendan (応援団, littéralement groupes de supporters).


Waseda superheroes

Ce ne sont pas des bandes de bras cassés qui beuglent dans un mégaphone ni des rigolos qui tirent des feux de Bengale, non, ce sont de véritables formations de pompoms accompagnées d'une fanfare, le tout coordonné par les leaders (les Ôenbu, 応援部) et géré par leur propre manager.

Que font les leaders, me demandez-vous ? Ils guident la barque, accordant fanfare et pompoms, lançant les chants, encourageant les joueurs par leurs chorégraphies et narguant les ôendan adverses. Avec leur uniforme d'étudiant japonais entièrement noir (inspiré des uniformes militaires du XIXe siècle) assorti d'un brassard aux couleurs de leur université, leur gestuelle martiale et leurs cris qui ne le sont pas moins, ils ont effrayés pas mal d'étudiants en échange qui les ont pris pour des nazis.

N'allez pas croire que ce sont des pompoms en croquemort qu'on prend pour des tocards. Ils ont un statut social très élevé et sont admirés par beaucoup d'étudiants, d'autant plus que les leaders de Waseda sont connus pour être très bons. N'importe qui ne peut pas devenir ôenbu, ils ont des sélections et entraînements de barge (courir 10 km tout en beuglant des slogans et en portant le giga-drapeau de Waseda qui pèse 15 kilo, etc...) et jusqu'à très récemment, seuls les hommes pouvaient prétendre à ce rôle. Pourquoi ? Parce qu'il faut de la testostérone pour ce genre de boulot. Opinion contestable et contestée par Miki Kogure, demoiselle qui semble avoir plus de couilles que d'autres mecs en accédant très récemment à la fonction d'ôenbu. Une première à Waseda !

Quelques pompoms et un des leaders sur leur estrade. Les gradins principaux de Waseda se trouvent sur la gauche de la photo ; en face, c'est Keio.

J'ai donc pu voir tout ce beau monde durant le match du 30 novembre, qui était la seconde des deux manches du Sôkeisen. Waseda ayant écrasé Keio la veille, il y avait plus de monde chez ces derniers mais nos gradins s'étaient quand même pas mal remplis.

Dès le départ, j'ai eu un problème de taille : photos et vidéos étaient interdites, sauf cas exceptionnels. Pourquoi ? Parce que les années précédentes, il y a eu un scandale de trafic de photos volées où de sympathiques supporters profitaient de la structure des gradins pour photographier les petites culottes des pompoms et s'échanger les clichés sur Internet. Réponse japonaise typique : restriction générale. Mais ça n'empêche personne de le faire, le service d'ordre étant assuré par les pompoms. M'étant fait rappeler à l'ordre une paire de fois par les demoiselles en jupette et craignant de me faire balancer dehors si je me faisais choper trop de fois, j'ai joué la carte de la discrétion en prenant photos et vidéos quand les frêles vigiles avaient le dos tourné. Le résultat, c'est que j'ai pas mal de vidéos pourries mais j'ai bien pu profiter de l'ambiance.

En parlant de l'ambiance, c'est tout à fait différent de ce à quoi j'ai pu assister jusqu'à présent. J'avais poussé un petit coup de gueule quand notre ôenbu se touchait la nouille alors que ça se déchaînait chez Keio (du genre "Mais c'est quoi ces noobs, ils sont en train de nous mettre la misère niveau ambiance en face là !"), mais ce n'était que l'expression de ma totale incompréhension des bonnes manières japonaises. En effet, les ôendan ne se déchaînent qu'à tour de rôle, chacun mettant le paquet quand c'est le batteur de leur équipe qui joue et restant plus soft quand les rôles s'inversent. Il faut dire que les matchs font 9 périodes, ce qui équivaut à un peu plus de trois heures, et que faire les kékos à leur rythme pendant tout ce temps c'est un sacré sport. Sur ce coup là, le noob, c'était moi.




Ôenbu en activité réduite, mais bonne ambiance garantie

Vous pouvez voir sur la vidéo toute une flopée d'espèces de cônes à pop-corn aux couleurs de Waseda. C'est, avec la serviette, le contenu du pack supporter vendu sur place pour 500Y. C'est pas grand chose, mais vu de l'autre bout du stade, ça en balance pas mal quand des gradins entiers agitent ce bout de carton en rythme ! L'autre possibilité était d'acheter un T-shirt Waseda pour le même prix. Mais je n'en avais pas besoin, je m'étais déjà transformé en supporter sociopathe avec mon sweat à capuche Waseda et ma serviette nouée autour du front.

En face, chez Keio, ce n'était pas des T-shirts aux couleurs de l'université qu'ils portaient, mais des cravates. Oui, des cravates rouges et bleues. Pour l'anecdote, des compères français s'étant malencontreusement égarés dans les gradins de Keio en cherchant le stand repas s'étaient mis à troller l'adversaire en se procurant le cornet à pop-corn de Keio tout en portant le T-shirt de Waseda. Ils ont fait pas bugguer pas mal de Japonais éberlués qui passaient leur regard du cornet au T-shirt en s'exclamant "E, chigau ! Chigau !" (C'est différent/On se trompe !) avant de battre en retraite quand les supporters devenaient de moins en moins complaisants, Keio se faisant latter.



Keio taose ! (A bas Keio ! / Ecrasez Keio !)

Ce qui m'a frappé aussi, c'est le nombre de chants et slogans qu'ont les ôendan en répertoire. En comptant les chants solennels, les grands classiques de Waseda, les chants d'encouragement et les chants de dénigrement, on doit bien attendre les sept ou huit. Forcément, avec un tel nombre de chants, il est difficile pour le supporter lambda de retenir toutes les paroles et tous les airs. C'est pourquoi les sympathiques pompoms se sont relayées pour tenir de méga pancartes sur lesquelles étaient inscrites les paroles des chansons en train d'être chantées et le nom des joueurs qu'il fallait encourager. Et bien sûr, les leaders enjoignaient tout le monde à effectuer des chorégraphie de groupe pour bien montrer en face qu'on n'est pas une université de pédés.



Cela passe aussi par un surprenant hommage à Patrick Sébastien

A mi-temps, alors qu'on était en train de perdre à 2-1, les pompoms de terrain nous ont fait un petit show pour remonter le moral des troupes. Et tout le monde filmait comme des connards bien évidemment.



"Et nooos pompoms sont des saloooopeuuuh"

Au final, on est bien remontés vu qu'on les a niqués 4-2. Le vent tournant et la pluie commençant à tomber, les supporters de Keio ont fui comme des rats quittant le navire alors que je commençais tout juste à comprendre les règles du baseball. Autour de la 7e période sur 9 quoi.



Fin du match et applaudissements aux joueurs, le tout filmé avec la grâce d'un bovin atteint de Parkinson



Et pour finir, le chant solennel de Waseda avec sa gestuelle fasciste si populaire auprès des étudiants d'échange

La clôture du match est sans doute ce qui m'a le plus surpris. Après la fin de la chanson, Keio a lancé le slogan de Waseda, Waseda a répondu avec le slogan de Keio et les ôenbu se sont profondément inclinés devant les tribunes adversaires. La signification fait rêver : après s'être opposés le temps d'un match, on scelle de nouveau l'amitié entre les supporters de Waseda et ceux de Keio. Le respect de l'autre est au fond de tout, même quand on ne souhaite que la défaite de l'adversaire, et c'est ça qui donne au Sôkeisen la palme du bon esprit.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Te lire est un vrai plaisir cousin!

doudou