vendredi 6 janvier 2012

Un anniversaire impérial


Bonne année à tous ! J'espère que vous avez passé de bonnes fêtes et que personne ne s'est étouffé avec la fève de la galette des rois.

Bref, j'ai été très occupé en cette fin d'année, entre sorties et vadrouille sac-à-dos, d'où un bon gros blanc dans ce blog. Et pourtant, j'ai plusieurs centaines de milliers de choses à raconter. Ca va prendre un peu de temps, mais je vais essayer d'évacuer tous ces articles les uns après les autres. Et en ordre chronologique, attention.

Si j'ai eu mes vacances de Noël le 23 décembre, ça n'a pas été par mansuétude de la part de Waseda ni par égards à la naissance du Christ qui n'a aucune importance dans cette partie du monde (cf article suivant sur Noël au Japon), mais parce que ça s'est bien calé avec un jour férié inattendu. Celui de l'anniversaire de l'Empereur.

Le domaine impérial vu depuis la berge. Au coeur de Tokyo, et pourtant si discret...

C'est une tradition relativement ancienne que le jour anniversaire de l'Empereur soit fêté en tant que jour férié - elle remonte au moins jusqu'à l'empereur Meiji (1867-1912). Mais si on institue un jour chômé de la sorte, cela voudrait-il dire qu'on le supprime à la mort de chaque empereur pour le déplacer à l'anniversaire de son successeur ? Que nenni, le jour de vacance reste et se trouve parfois doté d'un sens nouveau. Il en est ainsi du 3 novembre, anniversaire de l'empereur Meiji transformé en Jour de la Culture ou encore du 29 avril, anniversaire de l'empereur Shôwa (1901-1989) qui a retrouvé son sens initial après avoir été Fête de la verdure pendant un paquet d'années, cette dernière ayant finalement trouvé une autre date dans le calendrier. Ca se passe comme ça au Japon, c'est la valse des 15 jours fériés.

Anniversaire oblige, l'Empereur fait une petite allocution chaque année pour remercier les Japonais venus lui présenter leurs vœux et faire un petit point sur l'année écoulée. De fait, le 23 décembre est l'un des deux seuls jours de l'année où le vrai domaine impérial est ouvert au public, c'est-à-dire qu'on peut franchir les douves pour accéder aux Jardins occidentaux. Vu que j'en avais l'occasion, je me suis rendu à cette Garden Party impériale en très charmante compagnie.


Passées les formalités de contrôle et les deux ponts enjambant les douves, je me suis enfin trouvé en terre impériale. Sans avoir eu le temps de m'arrêter, emporté par un flot de personnes habilement orienté par la police, je me suis trouvé là où je voulais aller depuis un moment : au Palais Impérial.

Imperial palace is looooooooooooooo...

...ooooooooooooong !

Je m'attendais à voir un grand bâtiment imposant dans un style très classique, un peu dans l'image d'Epinal qu'on a du Japon. Que nenni ! De façon surprenante, c'est un palais à la frontière de l'architecture traditionnelle et de la modernité sobro-design que j'ai trouvé. Ca ne l'empêche pas d'être solennel au possible, et j'ai appris par la suite que le palais initial construit par Meiji et qui avait méchamment la classe a entièrement flambé lors des raids sur Tokyo en 1945. Dommage.

Comme on pouvait s'y attendre, beaucoup de monde a fait le déplacement pour voir l'Empereur, notamment des personnes âgées et des étrangers. Vu qu'on est arrivés entre deux interventions impériales, on a pu voir les lieux se remplir à grands pas.

Trouvez Charlie.

Observez bien les deux photos suivantes :

Avant.

Après.

Vous avez trouvé la différence ?


Bien joué ! C'est l'apparition de l'Empereur qui a suscité cet agitation enfiévré de petits drapeaux aux couleurs du Japon. Mais attention, le souverain n'est pas venu tout seul : c'est tout le noyau de la famille impériale qui est venu saluer la foule ! Faisons donc les présentations people, et ce en partant du milieu. L'homme qui parle au micro est Sa Majesté l'Empereur Akihito, souverain du Trône du Chrysanthème. Comme le veut la tradition, il prendra à sa mort le nom de son ère, Heisei, et c'est sous cette dénomination qu'il passera à la postérité pour les siècles à venir. A sa gauche, nous avons Sa Majesté l'Impératrice Michiko, première roturière à épouser un membre de la famille impériale, qui elle aussi prendra un nom posthume le temps venu (quoiqu'il ne semble être décidé qu'au moment de son décès). A la droite de l'Empereur, nous avons Son Altesse Impériale le prince héritier Naruhito, premier enfant de la famille a avoir été élevé par ses parents et non par chambellans et autres nounous de l'Agence Impériale, et la droite de celui-ci se trouve son épouse, Son Altesse Impériale la princesse héritière consort Masako, ancienne diplomate. A la gauche de l'Impératrice se trouve son second-né, Son Altesse Impériale le prince Fumihito d'Akishino, et à sa gauche son épouse, Son Altesse Impériale la princesse consort Kiko d'Akishino. Mais qui est donc la jeune femme tout à droite de la photo ? La fille aînée de ces deux derniers, Son Altesse Impériale la princesse Mako d'Akishino, 20 ans à son actif, qui serait devenue une net idol après être apparue à la télévision en costume d'écolière il y a un paquet d'années.

N'est-elle pas mignonne ?

Vous vous demandez sûrement quel est l'ordre de succession dans tout cela ? Attention, nous entrons dans un domaine complexe et controversé.

Selon la loi de succession de 1947, la succession se fait par primogéniture mâle, comme il s'est fait depuis des siècles et des siècles (encore que des impératrices ont assuré des régences). Ce système avait survécu jusque là grâce au concubinage (qui a pris fin dans les faits avec l'empereur Taishô, successeur de Meiji) et à la largeur du clan impérial... qui a été réduit à une seule lignée par cette même loi. Ah, on dirait bien qu'il va y avoir un problème.

Bien vu Cap'tain. Tout va bien pour Akihito, il a deux fils (et une fille, Sayako, qui comme de coutume a quitté la famille impériale en se mariant), et le prince Naruhito est tout à fait OK pour prendre la succession. Mais c'est là que ça se gâte : Naruhito et Masako n'ont eu après plusieurs fausses couches qu'une fille en 2001, répondant au doux nom d'Aiko, tandis que Fumihito et Kiko ont eu aussi eu deux filles... La relève était en péril, et ce ne sont pas les pressions de l'Agence Impériale sur les princesses, notamment Masako, qui ont arrangé les choses. Bien au contraire, ça s'est accompagné de graves dépressions, ulcères et autres joyeusetés entraînées par le stress.

C'est pourquoi certains ont envisagé une réforme de la loi de succession pour permettre aux femmes de devenir Impératrices régnantes, ce qui a été le fer de lance du Premier ministre Koizumi en 2005. Si cette réforme était adoptée, l'ordre de succession serait bouleversé, regardez :

Sans réforme : Akihito > Naruhito> Fumihito d'Akishino > ?
Avec une réforme : Akihito > Naruhito > Aiko !

Un prince impérial saute et une femme se retrouve sur le trône. Ce projet a eu beaucoup de partisans dans la population, les gens trouvant ça classe d'avoir une demoiselle à la tête de la nation, ce qui a dû diviser la société japonaise en mode Affaire Dreyfus, sauf que les gens ne se cassaient pas des chaises sur la tête pendant les dîners de famille.

En 2006, Koizumi déclare qu'il compte présenter un projet de loi à la Diète. La contre-attaque est fulgurante de la part d'un groupe de parlementaires sans doute traditionalistes s'opposant à cette réforme, craignant que la princesse se marie avec un étranger et qu'on se retrouve avec un gaijin aux yeux bleus sur le Trône du Chrysanthème. Toute la polémique a été stoppée court quand l'Agence Impériale a annoncé la grossesse de la princesse Kiko d'Akishino. Le gouvernement met son projet en pause en attendant le résultat de la grossesse... qui donne enfin un héritier mâle à la famille impériale, Son Altesse Impériale le prince Hisahito d'Akishino. Le projet de réforme est enterré par le gouvernement Abe peu après. Ainsi donc, on se retrouve avec cet ordre de succession :

Ordre de succession actuel : Akihito > Naruhito> Fumihito d'Akishino > Hisahito d'Akishino

On n'a toutefois fait que repousser le problème, et Aiko a encore beaucoup de partisans. Peut-être ne fait-on que reculer pour mieux sauter... Toujours est-il que l'Agence impériale est satisfaite, l'Empereur Akihito a eu un nouveau petit-enfant et que tout va bien dans le meilleur des mondes.

Une famille unie...

Reste que tout n'est pas rose non-plus. Le rôle important de l'Agence impériale dans l'emploi du temps aussi bien que dans le quotidien de la famille impériale pose de grandes restrictions aux membres de celles-ci, à l'Empereur lui-même qui aimerait voyager un peu plus. Mais ça devient bien plus terrible pour les princesses soumises à une pression énorme dû à leur rang, notamment Masako qui 1) n'a qu'une fille et 2) est diplomate de formation, veut faire des voyages à l'étranger mais s'en trouve empêchée par l'Agence. D'où des dépressions chroniques qui fauchent une partie de la famille.

J'ai essayé de demander à des Japonais ce qu'ils pensent de la famille impériale, mais je n'ai pas eu tant de réponses que ça. Si les anciennes générations sont très attachées à cette figure, les jeunes semblent plutôt neutres, à l'exception d'une branche qui ne la considère que comme une relique du passé. La situation n'est pas si différentes des monarchies européennes au final.

Là où ça a un peu changé, c'est avec Fukushima. L'Empereur est sorti de sa réserve pour la première fois depuis son règne en prononçant un message solennel au peuple et en allant lui-même sur les lieux de la catastrophe, la famille toute entière s'engageant réellement pour les victimes. Il va sans dire que la cote de popularité s'en est grandement élevée. Le Trône du Chrysanthème a encore de longues années devant lui...

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