lundi 23 janvier 2012

Comment je suis devenu un homme chez les Japonais


Après ces longs articles thématiques de fin d'année, je vais rebondir sur une petite anecdote - ou peut être pas si petite que ça - qui m'est arrivée début janvier. Mais remontons un peu le temps jusqu'au commencement du mois de décembre, lorsqu'une étrange missive atterrit dans ma boîte aux lettres. Expéditeur : l'administration de Shinjuku.

Au début, j'ai cru que c'était un rappel à l'ordre pour que je paye le montant mensuel de mon assurance sociale - à laquelle les étudiants d'échange doivent cotiser en tant que bons citoyens. Mais un rapide coup d’œil à l'enveloppe m'a fait une piqûre d'adrénaline. Une fois remonté dans ma chambre et la lettre ouverte, je suis tombé sur ça :


Une invitation pour la cérémonie d'accession à l'âge adulte, alias seijin shiki (成人式). J'étais aux nues. Je savais déjà avant mon départ que la majorité au Japon est à 20 ans et les Japonais ont pour tradition de fêter l'accession des jeunes à l'âge adulte, mais étant déjà majeur selon les critères japonais avant d'arriver ici, je me demandais si j'allais être convié. Apprenant après coup que ces sont les mairies qui s'occupent des cérémonies, et n'étant pas un résident de longue date pouvant être inscrit dans d'étranges registres, j'avais perdu espoir avant d'oublier toute l'affaire. Et pourtant ! La surprise n'en a été que plus forte quand j'ai sorti le carton d'invitation de l'enveloppe. J'ai bien fait de payer mes taxes, tiens !

Mais qu'est-ce donc que cette cérémonie d'accession à l'âge adulte ? Je n'en avais qu'une idée très vague de jeunes filles en kimono et de damoiseaux en hakama. Il s'avère que c'est une étape très importante dans la vie des Japonais, à un tel point qu'un jour férié (le deuxième lundi de janvier) a été institué pour permettre à tous d'accéder à cet évènement. C'est à partir de ce moment qu'on quitte complètement l'enfance et qu'on est considéré comme un adulte à part entière sous le Soleil Levant, et c'est à cette occasion qu'on profite des enseignements des aînés pour devenir des hommes et des femmes responsables, qu'on retrouve ses anciens camarades de classe, qu'on se raconte ses vies et surtout qu'on s'habille.

Parler de kimono est abusif : le mot désigne en V.O. tout type de vêtement traditionnel japonais, aussi bien la pièce d'habillement ultra-formelle que le simple, léger et (très) relax yukata de lin porté en été par hommes et femmes. Dans ce qui est l'occasion d'une vie, les demoiselles revêtent les plus beaux kimono, alias furisode (振袖, qui peut se traduire par "manches flottantes"), composés d'un ensemble de trois couches de vêtements noués par une ceinture obi complexe, qui sont faits de soie avec des motifs et des couleurs très détaillées, comportent des manches de près d'un mètre et mettent très longtemps à être mis. L'habillement en lui-même nécessite une tierce personne et prend à peu près 45 minutes (si ladite personne est experte en la matière), et vu qu'il faut ajouter à cela séances de coiffure et de maquillage, certaines filles se sont levées à... 4h du matin pour se préparer. Incroyable.

Les furisode sont aussi extrêmement chers, une poignée de milliers d'euros la pièce, ce qui pose quelques soucis de coût d'opportunité. Rythmant les grands évènements sociaux de la vie d'une Japonaise, il n'est porté que pour le seijin shiki, le mariage et dans certains cas pour la cérémonie du thé. Devant cette utilisation réduite, de très nombreuses familles préfèrent louer le vêtement pour l'occasion plutôt que l'acheter.

En parlant de location, j'ai pensé un moment à louer un hakama pour faire mon beau à la cérémonie. Mais ne voulant pas trop m'afficher en tant que olol gaijin japanese-wannabe, je me suis débiné. En y pensant après coup, je ne pense pas que je me serais fait voir négativement en tant que tel, mais j'aurais plutôt attiré la curiosité bienveillante des habitants. Rien qu'être sur place en tant que non-Japonais a soulevé quelques murmures étonnés, je n'ose pas imaginer ce que ça aurait donné ! Et ce d'autant plus que tous les Japonais étaient habillés en costard sauf deux - mais j'ai presque eu le temps de penser que cette histoire de hakama était en fake.

C'est donc le 9 janvier en tout début d'après-midi que je me suis rendu au cœur de Shinjuku dans un hôtel ultra-classe de la zone. Arrivé au dernier étage, je retrouve par hasard quelques amis étudiants d'échange dont Hanaline habillée d'un flambant furisode, ce qui a été l'occasion d'avoir des prises de consciences bruyantes en mode "Ah mais t'as vingt ans toi aussi ?". C'est ça d'être habitué à être le plus jeune parmi les internationaux... Puis nous sommes entrés dans l'immense salle de banquet où plusieurs personnalités de la circonscription tenaient des discours sur l'âge adulte (sans doute) pleins de recommandations pour leurs cadets.

Si t'es fier d'avoir 20 ans à Shinjuku, tape dans tes mains !

Pendant ce temps, on guettait plutôt le meilleur endroit pour avoir un accès fulgurant au buffet. On dit que les éléphants ne tombent jamais deux fois dans le même piège, et bien pour nous autres étudiants, on ne nous feinte pas deux fois quand il est question de bonne bouffe gratos. L'échec monumental et la longue famine à la réception de bienvenue donnée aux étudiants d'échange de Waseda nous aura transformés en véritables rapaces.

Objectif verrouillé. Etre un pique-assiettes, c'est tout un art.

Les discours s'achèvent, les lumières s'allument et le coup d'envoi est donné. On mange beaucoup, on boit beaucoup (thé, soda, mais pas d'alcool hein, on est désormais majeurs mais Shinjuku ne veut pas nous lancer dans la mauvaise voie), on rencontre des gens au hasard (dont la très sympathique maire de Shinjuku avec qui on a discuté un moment), on admire les kimono et on prend des photos. Tout comme nos camarades japonais.





De nombreux Japonais se sont étonnés qu'on n'ait pas de cérémonie semblable en France. Si on a à la place tout un ensemble d'épreuves informelles attestant qu'on devient un adulte (le passage du bac, l'obtention du permis de conduire, feu le service militaire, etc...) c'est vrai qu'un bon gros évènement du genre serait sympathique. Bien sûr, il est bien plus difficile de l'instituer dans les faits : densité de population différente du Japon et manque d'infrastructures pour l'organiser, financement qui porterait à polémique, etc... Et puis ce n'est sans doute pas tant dans la culture française que ça de commémorer des évènements pareils.

Quoi qu'il en soit, c'était un évènement particulièrement charmant. Merci Shinjuku !

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