mercredi 2 novembre 2011

L'amour, les chats et le Japon

Si pour certains le Japon est le pays des sumo, des ninja et des samouraï, pour d'autres c'est plutôt celui des geishas, des quartiers sulfureux et des love hotels. Vu c'était le Jour de la Culture l'autre jour et que pour une fois on a fait le pont, je vous ai fait un joli post à propos d'amour, de jeunes japonais et de chats. Et peut-être d'un peu plus encore.


Il y a un peu plus d'une semaine, Niji no Kai a eu la grande idée de faire une petite présentation de la culture japonaise sous le nom de Japan Study. Thème de la séance : "What is LOVE like in Japan ?". Vu que ça semblait fun et intéressant, j'ai pris la fin de mon mercredi aprèm pour y aller.

On s'est donc retrouvés dans une grande salle de conférence avec bien plus de monde que prévu. Après avoir lutté pour trouver un projecteur, la séance a commencé. J'avais peur que ce soit un truc un peu glauque sous-titré "Comment choper un(e) Japonais(e) quand vous êtes étranger ?" ; eh bien la première partie en avait la saveur.

On nous a présenté le principe et le déroulement d'un Gou-kon (合コン), sorte de blind dating où un gars et une fille qui veulent mieux se connaître ramènent leurs copains/copines pour avoir plusieurs couples potentiels autour de la table pour dîner. S'ensuit tout un cérémonial pour faire connaissance, notamment des jeux plus ou moins alcoolisés qui sont soit extrêmement naïfs soit extrêmement pervers. Si ça ressemble à des "j'ai déjà/j'ai jamais" et des jeux de succession de signes où les échecs sont sanctionnés par des gages du type "X embrasse Y sur la joue" - ce qui fait un peu gosse de 12 ans -, je suis sûr que ça doit être bien moins innocent que ça dans la réalité.
Les reconstitutions vidéos m'ont semblé assez glauques, on avait l'impression que les acteurs étaient mal à l'aise et qu'ils n'avaient qu'une seule envie : celle de se barrer vite fait bien fait. Attitude plutôt compréhensible quand on se met dans une situation où tous les convives ne sont là que pour tirer leur coup.
Au final, il s'est avéré que je n'ai pas compris grand chose vu que les Japonais se rendent aussi aux Gou-kon pour le simple fait de s'amuser et de se faire des potes. Ca m'apprendra à avoir des arrière-pensées.

Gou-kon typique. De haut en bas et de gauche à droite : "Moi", "Un ami inintéressant", "Les filles"

La présentation s'est poursuivie de façon plus relax avec un petit topo mignon sur les différentes façons de dire "Je t'aime" selon les régions du Japon. Le tout avec un Powerpoint dégoulinant de rose et de coeurs dans tous les sens. Kawaii~ !

Mais c'est vers la fin que c'est devenu épique. On nous a distribué des polycopiés avec une liste de mots en langage de djeunz' japonais, chacun se rapportant aux stéréotypes amoureux assortis d'une traduction hasardeuse en anglais. Et on nous a projeté une vidéo explicative des différents termes avec des mises en situation hilarantes au possible. Coup de chance, j'ai réussi à remettre la main sur la vidéo et elle devrait être visible ici.

Faisons donc un petit tour en revue :

B-sen (B専) "Like ugly guys"
Se dit d'une fille qui aime non-pas les beaux mecs populaires, ceux de Première classe, mais les loosers et autres laissés-pour-compte. La deuxième division quoi.

Sweets (スイーツ) "Girls that are stupid but care about fashion"
Des donzelles mignonnes et à fond dans la mode, mais qui manquent de plomb dans la cervelle. Ou sont juste stupides, mais c'est mignon.

Otaku (オタク) "Nerd"
Personne qui est tellement à fond dans sa passion qu'elle en devient quelque peu bizarre. Ce n'est pas forcément relié aux jeux vidéos et aux mangas, ça peut concerner tout et n'importe quoi. Et ça se reflète sur la personne.

GAL (ギャル) "Showy girls"
Petite kikoo-pouf attention whore à forte personnalité.

Soushokukei(草食系) "Herbivore men" & Nikushokukei (肉食系) "Carnivorous men"
N'ayant jamais entendu ces expressions de carnivore et d'herbivore, je suis resté en mode WTF jusqu'à avoir des illustrations complètes. Au final, c'est clair comme de l'eau de roche. Le mec herbivore, comme le laisse entendre l'adjectif, est placide : pas franchement passionné, il se laisse entraîner, ne prend jamais les décisions et répond bien souvent par "c'est comme tu veux" ou "c'est toi qui décide". La nonchalance à l'état pur, mais dans le mauvais sens du terme d'autant plus qu'il ne capte jamais ce que la donzelle veut vraiment. Le mec carnivore, à l'inverse, est ultra au taquet : il fait son marché, traque ses proies et attaque, parfois violemment et de manière ultra relou. N'étant pas là pour manger des salades, il veut de la chair fraîche. S'il n'est pas forcément un tombeur, il sait ce qu'il désire et arrive bien souvent à ses fins.

Et après, on peut faire mixer ces deux derniers avec des métaphores culinaires.

Rollcabbage (ロールキャベツ) "Carnivorous men that looks like herbivore men"
C'est plutôt clair : c'est un carnivore qui ressemble à un herbivore. D'apparence nonchalante, timide et désintéressée, il est en réalité chaud bouillant et sait s'y prendre. Pour info, un rollcabbage, c'est ça.

Aspara Nikumaki (アスパラ肉巻き) "Herbivore men that looks like carnivorous men"
C'est un mec qui a l'air ultra hot et chaud comme la braise, mais qui est d'une timidité voire d'un manque d'intérêt et de compréhension plutôt déconcertant pour la gent féminine. En gros, ça ressemble à ça.

Tennenkei (天然系) "Pure girl"
Il s'agit de la demoiselle tellement pure et naïve que ça en devient étrange. Elle ne voit pas le mal et ne comprend pas les sous-entendus, ce qui fait qu'elle est un peu bébête mais très intentionnée.

Wasejo (わせ女) "Waseda girls"
Sans doute la némésis de la Tennenkei. Souvent bourrée, rusée pour arriver à ses fins, ayant les moeurs légers et étant sans doute un peu mauvaise langue, c'est la fierté de notre maison. Oui monsieur.

Tsundere (ツンデレ) "Cool but nice"
Derrière cette traduction mystérieuse se cache la fille des contraires. Celle qui feint l'indifférence quand elle est heureuse de quelque chose, qui engueule ceux qu'elle aime en vérité et qui est de manière générale en train de gueuler à propos de tout et n'importe quoi. Mais au fond, c'est une très gentille fille. Pour nos amis connaisseurs, cette pouffiasse d'Asuka d'Evangelion est un bon exemple.

Riaju (リア充) "People who lead a full life"
Je dois vous faire un dessin ? Parce qu'en fait, j'hésite encore sur la portée de cette expression.

Félicitations ! Vous avez complété l'encyclopédie des stéréotypes, vous pouvez jouer à qualifier vos petits camarades dès à présent !

On nous avait aussi fait une petite présentation sur les bons endroits où convenir d'un rendez-vous. Etant bien moins détaillé et révélateur que je l'avais espéré, elle s'est limité à nous présenter les endroits coolos de Yokohama (grande roue, maison en briques rouge, yeah !) et à recommander les Neko café.

... Hein ?

J'avoue avoir un peu buggé sur le moment. Les Neko café ? Un date spot, vraiment ? J'en avais déjà entendu parler auparavant et je connaissais donc le principe : on se rend dans une sorte de salon de thé pour papouiller des chats. Ca m'avait semblé un peu léger, mais j'avais dû louper louper le côté romantique de la chose.

Il faut bien croire que je devais y aller moi-même pour vérifier la chose. Et vu que ma moitié me suggérait depuis un bon moment et l'air de rien d'aller dans un Neko café qu'elle a adoré, on s'est mis en route pour Shibuya. Pas tant à l'écart que ça de son célèbre carrefour surpeuplé et des artères encombrées d'enseignes lumineuses, on a trouvé cette enseigne de paix.

Neko café "Happy neko". Soit dit en passant, Neko veut dire... tadadaaaa... chat !

A l'intérieur, on s'est retrouvé dans une ambiance à mi-chemin entre le salon de thé pépère et la chambre de jeune fille. Lavage et désinfection des mains obligatoires à l'entrée, petit topo sur ce qu'on peut faire ou non avec les chats, on paye en fonction du temps passé et on peut acheter de la nourriture pour chats. De la nourriture pour humains aussi d'ailleurs, mais tout est plus ou moins un dérivé du lait. Petite galerie photo...







Dès le premier pas à l'intérieur, je me suis rendu compte que Niji no Kai n'avait pas raconté des cracks. Un couple de jeunes gens était affalé sur le tapis central, visiblement en rendez-vous amoureux, occupé à jouer avec un petit chaton. J'ai juste un peu foutu leur date en l'air quand j'ai ouvert la petite boîte format échantillon d'urine contenant les cinq misérables croquettes, tous les chats de la pièce s'étant précipités comme des connards pour avoir leur part du gâteau.

Morfales.

Il faut noter que comme ces chats sont papouillés 24h/24 par des inconnus, ils ont chopé un ego comparable à celui d'Olivier Duhamel. Ils s'en foutent parfaitement de toi et ne se laissent caresser que du bout des doigts, jetant à l'occasion des regards chargés de mépris, mais dès que t'as un peu de nourriture dans les mains ils se font tout de suite plus amicaux. Satanés opportunistes.

C'était bien sympathique de voir de jolies peluches vivantes, mais je me suis demandé comment ce concept peut marcher. L'explication qu'on m'a avancée me semble plausible : bien des Tokyoïtes ne pouvant pas garder d'animal de compagnie chez eux, c'est un moyen de compenser et un exutoire au trop-plein d'amour à déverser.

Ou alors, c'est tout simplement parce que les Japonais aiment les chats. Et les filles aux oreilles de chat.

Ce n'est pas seulement la rentabilité des Neko café qui est conditionnée par la structure de la société, mais aussi l'ensemble des comportements amoureux et de la vie de couple japonaise. Si vous avez lu le roman (surcoté) d'Amélie Nothomb Stupeur et tremblement, vous n'aurez pas loupé toute la partie sur la volonté de se marier jeune au Japon.

Nothomb a comparé la fille célibataire passés 25 ans à une fleur fanée au regard de la société japonaise ; heureusement, les choses ne sont plus ainsi. Dû aux transformations de la société etc., par rapport à ce qui était la norme quelques décennies plus tôt, on se marie soit très tôt (tout juste après la vingtaine, voire même avant), soit très tard (à l'aube de la trentaine). Passé 30 ans, ça craint pour les Japonaises. Pas juste parce qu'elles sont célibataires, mais parce qu'elles ont de plus en plus de chances de le rester : si elles n'ont pas trouvé de mari à cet âge, pensent les Japonais, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison...

C'est pour ça qu'après la recherche du premier travail - tâche ardue durant la dernière année à l'université - et sa place ancrée dans le monde du travail, certaines japonaises se lancent dans une autre chasse au trésor : celui d'un mari. Et là, ça y va fort en Gou-kon. Les étrangers étant très prisés, vous avez de très fortes chances de recevoir des avances insistantes de la part de vos collègues féminins si vous êtes un gaijin salary-man. Et encore plus si vous êtes un Français venant de Paris. Le harcèlement sexuel va dans les deux sens.

Dans cette recherche frénétique contre la montre, il semblerait que les femmes fassent feu de tout bois. La structure du travail joue en cette faveur : les travailleurs japonais étant très pris par leur travail, partant tôt le matin, revenant tard le soir et enchaînant voyage d'affaire sur voyage d'affaire, il est facile pour un couple de ne pas se voir du tout. Ainsi, il est des foyers où le seul lien entre le mari et la femme soit les enfants, pas l'amour. D'ailleurs, les couples ne semblent pas montrer leur attachement en public, pas même dans le cercle familial : de nombreux Japonais n'ont jamais vu leurs parents rien que se tenir la main ! De manière générale, il n'est pas très bien vu de se bécoter en public et rares sont les couples marchant dans la rue main dans la main. Cela se retrouve chez les jeunes aussi : je ne me souviens pas avoir vu beaucoup de couples sur le campus, et sans cette merveilleuse invention qu'est Facebook je n'aurais jamais deviné qu'un tel sort avec un tel. Ou alors, ma sagacité ne s'est exprimée qu'en remarquant des signes discrets.

Je ne sais pas dans quel sens va la causalité, mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, le Japonais est plutôt... volage. L'infidélité semble chose courante et la confiance n'est pas au top dans le couple, certaines étudiantes refuseraient même de voyager hors du Japon pour tenir un oeil sur leur copain. Si l'homme peut se permettre quelques plaisirs extra-conjugaux durant ses longs voyages d'affaires à des centaines de kilomètres du foyer, rien n'interdit l'épouse d'en faire de même. Peut-être dans la lignée des mariages arrangés traditionnels, il est admis que le bonheur et l'amour puissent se trouver hors du couple officiel.

Dès lors, toute une structure de services se met en place. Monsieur veut passer un petit moment avec une demoiselle illégitime en tout anonymat ? Pas de problème, le réseau des love hotels est répandu tout autour des grandes gares tokyoïtes, aucun contact visuel ne se fait entre le personnel et les clients tandis que les plaques d'immatriculation des voitures sont camouflées. Pas le temps de passer la nuit ? Aucun souci, les love hotels proposent aussi des "breaks", comprendre une tarification par périodes de 3 heures à tout moment de la journée ou de la nuit. Le love hotel est aussi populaire auprès des jeunes étudiants qui vivent tardivement chez leurs parents et/ou à une très longue distance. Le love hotel s'implante aussi à proximité des boîtes de nuit pour satisfaire aux belles rencontres. Les clients ont des attentes particulières ? On a pensé à tout avec des hôtels à thèmes prêts à répondre à tous les fantasmes avec mobilier, décoration, matériel vidéo et accessoires fournis. Des professionnels, ces Japonais.

Colline des love hotels à Shibuya

Mais attention, la prostitution est officiellement interdite au Japon. Vraiment ? Qui sont alors ces demoiselles courtement vêtues qui font les cent pas dans les petites ruelles, non-loin des love hotels par ailleurs ? Attendent-elles leur cher et tendre ? Il faut voir ce qu'on entend par prostitution. Au Japon, il n'y a prostitution que s'il y a pénétration... ce qui fait qu'un grand business s'est créé autour de la fellation dans les bars à hôtesses, chez les masseuses ou bien dans des bains spéciaux où on se fait savonner par des demoiselles et bien plus encore.

Mais rassurez-vous, si vous êtes occidental, vous n'aurez pas besoin d'avoir recours à ces services. Les Occidentaux sont extrêmement populaires et vous ne devriez pas avoir de mal à vous trouver un copain/une copine. Car vous devenez Charisma Man.


2 commentaires:

Lucie a dit…

Cet article est fantastique, merci pour m'avoir fait mourir de rire dès le réveil, ça fait du bien.

Je sais pas si tu as déjà jeté un oeil à Love Step Up story ? Ca donne un aperçu de tout ce que tu décris, du cliché de la nana nunuche au possible aux loves hôtels chelous. A défaut d'être excitant ce manga est hilarant.

Lauriane a dit…

Très bon article vraiment ! Duhamel en chat est une image merveilleuse. Je regretterais presque de ne pas m'être décidée pour le Japon.
Avant de m'attaquer au reste du blog, je me permets de t'envoyer ces photos de love hotels : même si tu les as peut-être déjà vu, elles sont assez géniales. http://www.materialiste.com/culture/love-hotels-au-japon

Bonne continuation !