mercredi 11 janvier 2012

Noël au Japon, ou comment se faire un KFC en amoureux

"T'endors pas petit gars, le Père Noël n'est pas encore arrivé."

Lorsque je préparais mon année au Japon, je m'attendais à ne pas avoir de vacances de Noël au Japon. Fort heureusement, je m'étais trompé et les deux semaines de repos accordées par Waseda sont tombées à pic. Après, je m'attendais à ce que les Japonais ne fêtent pas Noël et qu'ils considèrent cela comme une festivité occidentale un peu farfelue qu'on regarde avec un sourire en coin, comme la dernière page de Tintin au Congo où les Africains se mettent à plat ventre au pied du totem érigé à la gloire du Belge à houpette. Fort heureusement, je me suis de nouveau trompé. Quoique Noël ici ne veut pas dire la même chose que Noël en Europe ou dans tout le reste du monde chrétien. Point de référence à Jésus, ici Noël rime avec amour, Santa Kurausu et... KFC. Suivez le guide.

Pour faire simple, le Noël au Japon ressemble autant au Noël en France que le Pepsi au Coca, le Bordeaux au Bourgogne ou PES à Fifa : ça y ressemble, mais c'est complètement différent. En quelle mesure ? Tout d'abord en ce que Noël n'est pas une fête de famille. Dans le cas général, il n'y a pas de veillée au coin du feu, pas de grande bouffe et de petits cadeaux, rien de tout ça et en plus le bon travailleur part bosser le 25. Après avoir travaillé le 24, comme tous les autres jours. Bien au contraire, la célébration de Noël est restreinte aux couples qui se donnent rendez-vous ce jour-là, vont dans des endroits hype comme Disneyland, vont admirer les illuminations de Noël dans les rues avant de se faire des cadeaux entre eux deux et se souhaiter bonne nuit (sans doute). Pendant ce temps, les célibataires passent la journée à leur baitô, dépriment seuls dans un coin ou vont faire des contre-soirées (dites à peu de choses près "soirées de loosers" - ils ont de l'humour ces japonais) entre potes célibs. Et sans doute des gô-kon pour ne pas rester célibataires le Noël d'après. En somme, Noël au Japon ressemble à la Saint Valentin en France, sauf qu'il y a une couche épaisse de kawaii, de mimétisme/adaptation culturelle de l'Occident et deux mois de matraquage commercial.

Si les célibataires n'ont pas de cadeau, il leur reste les minettes d'AKB48 comme lot de consolation

A Rome, faisons comme les Romains, j'ai voulu expérimenter le Noël japonais. Sitôt dit sitôt fait, me voilà parti en rendez-vous galant à Yokohama. Très jolie ville qui sent la mer à 45mn du cœur de Tokyo, avec un secteur côtier ultra-futuriste (Minato Mirai, alias "Port du futur") et un Chinatown très coloré à la nourriture délicieuse. C'est fou comment cette petite escapade d'une vingtaine de kilomètres a donné l'impression d'être allé à l'autre bout du monde. Evidemment, nous n'étions pas les premiers à avoir pensé à une escapade à Yokohama, grand classique à Tokyo... Les lieux les plus touristiques étaient un peu bouchés, mais on a tout de même pu croquer un grand morceau de ciel bleu - et des Gomadango (胡麻団子), alias des boulettes de pâte enrobées de sésame et fourrées à la pâte de haricot rouge.

Le secteur de Minato Mirai

24 décembre au Japon. Y'a pire.


Glace de Noël, avec des Frosties dedans


Chinatown ultra-bondé mais authentique

C'était bien sympa de faire coucou aux Chinois de Yokohama, mais je suis sûr qu'ils se fichent de Noël encore plus que les Japonais. Retour à la case maison le soir venu pour faire un tour à Roppongi. Quand on m'avait parlé des illuminations de Roppongi, je croyais que c'était juste des décorations lumineuses classiques comme on pourrait en voir sur les Champs-Elysées ou encore rue Diderot pour ceux qui habitent le 52. Eh bien que nenni, il s'agissait d'un véritable spectacle son et lumière lancé à une heure précise avec file d'attente dans un froid mordant. Mais ça a valu le coup d’œil tout de même !


C'était joli, féérique, envoûtant avec des lumières qui volaient dans tous les sens et une Terre qui apparaissait de temps à autres, mais ça durait 1 mn 30 et ça tournait en boucle.


Quand vient l'heure du dîner du Noël, on se rend compte qu'il y a certaines barrières culturelles qu'on n'a pas envie de franchir : je parle bien sûr des traditions culinaires. On s'attend très bien à ne pas avoir dinde, foie gras et bûche glacées de ce côté de la Terre, c'est comme ça, mais de là à imiter les Japonais, l'écart est un peu trop grand :


Oui, vous aurez reconnu le Coloner Sanders, roi du poulet frit, que de nombreux jeunes japonais confondraient avec le Père Noël. Au Japon, le repas de Noël, c'est KFC. MAIS MON DIEU POURQUOI ?? Il semblerait que cette tradition découle d'un énorme coup marketing. Dans les années 1970-80, KFC était la seule chaîne de restauration fournissant des volailles entières pour les familles expatriées basées au Japon. Imitant les expats' pour passer un vrai Noël à l'Occidentale, les Japonais se sont mis à fréquenter le KFC en recherche de poulet frit, puis de fil en aiguille et le tout lourdement appuyé par une campagne de communication très efficace de la part de la chaîne, le menu de Noël KFC s'est imposé comme le camarade du sapin décoré. Remercions aussi le changement de génération, les enfants des 70-80es étant à présent chefs de famille, c'est eux qui choisissent le poulet frit pour Noël pour poursuivre leurs usages familiaux et pérennisent la tradition. Le succès est tel que de nos jours, le chiffre d'affaire de la chaîne est multiplié par 4 autour de la Nativité et les commandes affluent plus d'une semaine à l'avance. Qui l'eût cru trente ans auparavant ?

Eh non, je ne vous raconte pas de conneries.

Toujours est-il que je n'avais pas franchement envie d'un bucket de Noël et que jouer aux Japonais, c'est bien, mais porter sa tradition annuelle à l'autre bout du monde et la partager avec d'autres étudiants d'échange, c'est mieux. C'est pourquoi on s'est fait un bon gros dîner de Noël dans le dorm où chacun y allait de sa spécialité : Italiennes pour la pasta et la salade de fruits, Danoise pour le riz au lait, Taiwanaises pour les gyôza et omelettes taiwanaïses, Suédois pour le pop-corn (allez chercher le lien), Finlandais pour ma part en préparant du pain d'épice de là-bas, et j'en passe. Le tout était relevé par une ambiance intime à base de guirlandes, de bougies et de chansons de Noël et de vin chaud. Etant une dizaine de convives et chacun ayant mis la main à la pâte d'une façon ou d'une autre, on a mangé pour un mois ou deux.

Ca, c'est un repas de Noël qui a la classe

Le fameux riz au lait, que je suis visiblement venu à aimer après 14 ans d'abstention

Même la mascotte voulait nous rejoindre du haut de son perchoir

Les pains d'épices dont il est question plus haut


Cadeau-surprise : la vaisselle post-banquet.

Bref, j'ai fêté Noël au Japon.

1 commentaire:

Willy a dit…

Mon dieu, le choc des cultures à l'envers. Personnellement je préfère le foie gras!