dimanche 11 mars 2012

Fukushima, un an après

Technicien prenant une pause dans une zone dévastée par le tsunami

Ca ne vous est sans doute pas passé inaperçu, mais cela fait aujourd'hui un an que la terre a tremblé dans le Nord-est du Japon - la région qu'on appelle Tôhoku -, entraînant tsunami, catastrophe nucléaire et tout le tralala. Après la suractivité médiatique de 2011, toute la zone semble être tombée dans l'oubli une fois l'incident clôt et Sendai vidé des caméras. Si l'on pourrait penser que tout est oublié - ou pour sombrer dans l'humour noir, enterré -, détrompez-vous : l'héritage de l'incident est encore très fort dans le Japon de 2012.
Plusieurs nations ont leurs traumatismes : les Etats-Unis pleurent encore le 11 septembre, le Royaume-Uni pense aux attentats de Londres et la France garde le souvenir amer de l'Occupation - ou pour rester dans les "accidents", du 21 avril 2002. Il en est de même pour le Japon, où le Grand Séisme de l'Est du Japon a creusé des cicatrices qui ne guériront pas si rapidement. Petit aperçu des situations passée et actuelle.


Il y a un an donc, je me réveillais dans un appartement à Strasbourg, me remettant d'une soirée surprise et me préparant à faire un petit coucou au seul IEP de Germanie. Mon camarade d'expédition me hèle depuis la TV, lançant qu'il y a eu un séisme au Japon - ce à quoi j'ai répondu qu'il y a des séismes tous les jours dans l'archipel. J'ai très vite déchanté en voyant les images du tsunami dévastant tout sur son passage, de bateaux pris dans un maelström et autres joyeusetés. Ca a ensuite été la spirale avec incident nucléaire sur incident nucléaire pendant qu'à Sciences-Po - et plus généralement à Paris - étudiants d'échange et expatriés japonais multipliaient les actions et levées de fonds en faveur du Tôhoku. Pour moi, ça a aussi été le début de la galère avec la Direction des Affaires Internationales qui malgré toute sa bonne volonté a joué la montre puis enchaîné bottés en touche, réponses de Normand, queues de poisson et arguments d'autorité. Heureusement, mon échange au Japon a fini par se concrétiser, me donnant l'occasion de voir comment les choses se passent sur place et comment elles se sont vraiment passées, en l'entendant directement de la bouche des résidents.

Les images impressionnent, mais les témoignages sont beaucoup plus poignants. La question "T'étais là pendant le séisme ?" est d'ailleurs devenu une formalité entre expatriés, donnant l'occasion pour ceux qui n'y étaient pas d'imaginer la violence émotionnelle et, pour ceux qui y étaient, de se la jouer un peu. Juste récompense d'après ce que j'ai pu entendre. Il y a tout d'abord le tremblement de terre lui-même qui a sacrément chamboulé la capitale avec des bureaux qui partent dans tous les sens, les cloisons qui tombent, les Japonais - pourtant bien entraînés - qui pleurent de peur, etc etc. Puis il y a la suite, qui est à peu près 1000 fois pire.
Pour ce qui est de Tokyo, imaginez une ville intra-muros (correspondant aux 23 arrondissements spéciaux) d'une superficie six fois supérieure à celle de Paris et quatre fois plus peuplée dont les systèmes de transport et de communication sont paralysés avec des foules d'écoliers et de travailleurs marchant jusqu'à une vingtaine de kilomètres pour rejoindre leur logement, les 100.000 Japonais résidant plus loin étant contraints de rester sur place dans des hébergements d'urgence. Ajoutez à cela des rumeurs qui circulent, comme par exemple une réplique imminente sous Tokyo ou l'explosion d'une centrale nucléaire, et vous avez-là une belle panique comme on n'en voit que dans les films. Cela s'est traduit par le vidage complet des supermarchés et autres combini pour faire des stocks de nourriture, la flambée du prix des bouteilles d'eau, une grande psychose dans les jours suivant le séisme où tout le monde veut quitter Tokyo, les trains en direction du Sud et les avions pour les pays limitrophes affichant complet pour plusieurs semaines. Crise de nerfs incroyable sur fond de "explosera, explosera pas ?" de la centrale de Fukushima.

Mais si la situation nucléaire s'est stabilisée, que reste-t-il de Fukushima aujourd'hui ?

Réacteurs 4 (à gauche) et 3 de la centrale Fukushima Daiichi

Quand je suis arrivé au Japon en septembre, l'empreinte du 11 mars crevait les yeux, contenue dans ces trois terribles syllabes setsuden (節電, pour "économie d'énergie"). Vous vous en doutez, qui dit une centrale nucléaire en moins dit (beaucoup) moins d'énergie produite et fragilité du réseau électrique. C'est pourquoi une loi de restriction de l'utilisation d'énergie avait été votée au Parlement japonais au printemps, se fixant pour objectif de diminuer la consommation d'énergie de 5% pendant l'été par-rapport à la même période l'année précédente. L'objectif a été atteint grâce à des règles strictes : fermeture de nombreux guichets électroniques dans les gares, débranchement de la nuée de distributeurs automatiques pendant la nuit, mise hors-service de nombreux ascenseurs et restriction de leur usage à ceux qui en ont vraiment besoin, et puis... limitation de l'usage de l'air conditionné à 28°C au minimum. 28°C, ça peut sembler peu dans la sèche chaleur des campagnes champenoises, mais quand l'humidité japonaise s'en mêle, ça devient horrible. A peu près aussi pénible que s'il faisait 35°C à Paris, sauf qu'enlever des vêtements n'aide pas tellement à se rafraîchir. Les salarymen japonais, dont l'habillement est ultra-cadré et qui changent leur costume normal pour un autre costume plus léger pendant l'été à une date fixée (!), ont même été autorisés à s'habiller plus light l'année dernière, que ce soit sans la veste de costume ou même - unbelievable - en bermuda, c'est dire ! Le setsuden a duré jusqu'à la mi-octobre, pile quand l'automne est brusquement arrivé le lendemain du typhon, mais l'économie d'énergie se poursuit à une plus petite échelle.

Mais Fukushima se lisait aussi dans les comportements - en premier lieu dans celui des étudiants d'échange. C'était le temps où on faisait ses courses les yeux rivés sur le lieu de production du lait, de la viande et des légumes, évitant les endroits où le bœuf était un peu trop bon marché pour être honnête ainsi que les marchands de fruits et légumes n'affichant pas la provenance de leur marchandise. On se communiquait les listes "suspectes" des ambassades, on savait quelle marque de laitages laisser dans les rayons, on désespérait quand on voyait que les aubergines du supermarché Santoku venaient de la préfecture de Gunma, etc... Mais on a bien vite perdu cette habitude, le coût de la vie tokyoïte ne faisant pas cracher sur de la nourriture pas chère - et si je ne vais toujours pas chez les marchands de primeurs, c'est parce que je peux trouver des prix bien plus intéressants ailleurs. Et je n'ai toujours pas de troisième bras ni de chute de cheveux. Toutefois, les productions du Tôhoku - région fortement agricole de surcroît - semblent toujours pâtir des évènements de mars 2011 alors que de nombreuses exploitations ont fermé et que de nombreux éleveurs ruinés se sont suicidés.

Cérémonie bouddhiste en mémoire des disparus du tsunami

Plus généralement, c'est l'image du Tôhoku qui a pâti de la catastrophe. Il était hors de question de s'approcher de la région et les réfugiés ont été globalement traités comme des pestiférés par les populations locales, avec son lot de brimades dans les cours d'école ou de refus d'embauche dans les entreprises. En conséquence, le Japon a mis le paquet dans la communication et poursuit dans cette voie pour rendre la région attractive. Cela se fait par beaucoup de publicité touristique, des offres de voyage très alléchantes portant notamment sur des forfaits Shinkansen presque bon marché, mais aussi par une flopée d'émissions touchant de près ou de loin au Tôhoku - le plus emblématique restant le reportage relatant le quotidien d'une famille revenue dans la zone évacuée et combien ils galèrent car il n'y a plus personne.

Le pin solitaire de Rikuzentakata, unique survivant d'une forêt entièrement rasée par le tsunami et symbole de l'espoir après la catastrophe

Plus profondément encore, c'est le moral du Japon qui a été brisé par ces évènements. J'ai été surpris d'apprendre que le Japon que j'ai découvert en septembre 2011 était bien différent de celui d'avant le séisme. On m'a dit que les gens étaient plus gais auparavant, peut-être plus superficiels aussi, et que l'ambiance générale est devenue morose. Il va de soi qu'on n'a pas le cœur à faire la fête après une catastrophe du genre, le nombre et l'ampleur des matsuri d'été et d'automne ont de fait été grandement réduits. De même, compagnies immobilières et assurances ont multiplié les combines, faisant signer des contrats spéciaux renonçant à toutes poursuites pour les logements anciens aux normes sismiques pas toujours respectées, voire obligeant les nouveaux locataires à prendre une assurance supplémentaire en cas de dégâts liés aux tremblements de terre. Ce n'est pas l'annonce de la haute probabilité qu'un puissant séisme se déclare sous Tokyo d'ici à 2016 qui calme les esprits. Un Japonais avec qui j'ai eu l'occasion de discuter de la chose a dit qu'il ne croyait pas à cette prédiction, mais que peut-être à un horizon de dix ans... Le fait qu'il ait dit les choses de façon totalement naturelle et décontractée a quelque chose d'à la fois rassurant et inquiétant.
Toutefois, c'est face à la difficulté que le lien social a été redoré comme si on venait de redécouvrir son existence. La solidarité a été portée au plus haut niveau, temples, sanctuaires et lieux touristiques ayant organisé de grandes collectes pour les victimes du séisme et la plupart mettant encore à disposition des caisses pour les dons d'argent. De même, les campagnes de bénévolat se poursuivent pour nettoyer les zones sinistrées, rétablir les infrastructures secondaires et œuvrer plus généralement à la reconstruction. Un an s'est écoulé, mais il reste encore beaucoup de travail à faire... J'aimerais moi-même m'engager pour une petite semaine en tant que bénévole, j'espère que j'en aurai l'occasion et le temps d'ici la fin de mon séjour.

Salle de classe fantôme dans la zone sinistrée

Par ailleurs - j'avais oublié de le mentionner dans l'article consacré au Nouvel An -, il est une tradition de décembre dont je ne vous ai pas parlé. Tous les ans, un sondage national est organisé afin de choisir un idéogramme caractérisant l'année passée, le kanji ainsi élu étant calligraphié par un maître lors d'une cérémonie au temple Kiyomizu de Kyôto le 12 décembre (le "Jour du Kanji"). Quel fut le signe choisi pour définir l'année 2011 ? Kizuna (絆), qui signifie "lien", ce même lien qui a permis aux Japonais de tenir et de s'entraider en ces temps difficiles et qui, tissé entre les joueuses de l'équipe nationale de foot féminin Nadeshiko Japan, leur a permis de remporter la Coupe du monde.

Kizuna, en décembre dernier

D'ailleurs, devinez voir à quand remonte cette pratique du "Kanji de l'Année" (今年の漢字) ? A 1995, année du grand séisme de Kobe... le premier idéogramme de cette désormais longue série a été shin (震), qui signifie "tremblement". La boucle est bouclée.

Pour clore cet article, je vous invite à jeter un œil aux liens, et surtout à leurs photos qui montrent l'état actuel des zones sinistrées. J'ai repris certains clichés pour illustrer cet article.

Japan Earthquake : Before and After
Japan Earthquake : One Year Later

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Erittäin mielenkiintoinen artikkeli
Excellent