lundi 5 mars 2012

Puroresu : le catch à la japonaise

Entrée en scène badass d'un combattant

On le sait, les simulations de baston sont parmi les jeux vidéos les plus populaires. Des séries très connues telles que Tekken, Mortal Combat, Virtua Fighter, Dead or Alive, Soul Calibur font la joie de petits et grands depuis quelques décennies, à tel point que des crossover entre séries sortent régulièrement (comme le prochain Street Fighter X Tekken par exemple). Leur point commun est d'avoir des personnages facilement reconnaissables, une bonne dose de bourrin, du spectacles et un florilège de coups irréalistes.
Ce qui devient un peu bizarre, c'est quand des personnages de séries n'ayant que peu à voir avec la castagne sont réutilisés dans des jeux de baston. Je pense bien entendu à la série des Super Smash Bros de Nintendo qui est un joyeux foutoir où tout le monde s'en met sur la tronche dans tous les sens et en parfaite anarchie. Pourquoi donc tant de productions de combat du côté du Soleil Levant ?
Mais aussi, pourquoi les mangas, tout particulièrement les shônen, regorgent-ils de scènes de combat où les personnages prononcent le nom de leurs attaques, souvent spectaculaires ?

Sans doute parce que contrairement à ce qu'on pourrait deviner, le Japon a-dore le catch.

N'oublions pas non-plus Battle Royale qui emprunte beaucoup à l'univers de la lutte - ne serait-ce que le titre

Fin janvier, M. Mineno, un sempai que j'avais rencontré lors de mon escapade au marché à poissons de Tsukiji, m'avait invité à un petit dîner avec d'autres anciens de Waseda alors qu'il revenait d'un voyage en France. On a fait connaissance autour d'un oden dans un vieux resto à proximité du campus puis à grands coups de bière dans un petit izakaya qui est aux anciens ce que le Basile est à la rue St Guillaume. Il faut croire que je leur ai plu car j'ai été convié le week-end même au Tokyo Dome, le grand complexe festivo-sportif de la capitale, où un billet d'invitation m'ouvrait le passage vers la plus grande fédération de catch de l'archipel : la New Japan Pro Wrestling (新日本プロレス). C'est là-bas qu'avec M. Mineno et le couple Takahashi, j'ai assisté à la finale de la ligue de l'année, avec d'immenses pointures au programme pour mes yeux d'amateurs. Moi qui n'y connaissais rien, j'ai eu une remise à niveau rapidos.

Ca va faire mal

Avant d'assister au tournoi, je considérais le catch comme un spectacle chiqué à l'américaine avec son lot de trucages, de cagoles en bikini tenant des pancartes, de commentateurs sur-enthousiastes et de pop-corn. En fait, c'est pas vraiment ça. Le catch, ou tout du moins le puroresu comme on l'appelle au Japon (pour "pro wrestling") serait plutôt l'art de ne pas se faire mal. Car même si le ring est souple et légèrement monté sur ressorts comme un praticable de gym, les coups qu'ils se mettent pourraient facilement tuer un bœuf. Et pourtant, outre les cris et gémissements qu'ils poussent pour le spectacle, les lutteurs se relèvent au bout de quelques secondes, frais et pimpants, pour mettre quelques torgnoles à ceux qui les ont mis à terre.

Il en faut plus que ça pour mettre un catcheur KO

Mais le puroresu reste un spectacle. Et quel spectacle ! Entre les entrées gangsta en mode son et lumière, gros manteaux de fourrure, plaquettes de chocolat et gimmiks à la clé, il y a tout un jeu de scène entre les deux opposants (ou les deux équipes le cas échéant) avec d'un côté les gentils qui emportent l'adhésion du public, de l'autre les méchants badboys qui détournent l'attention de l'arbitre pour massacrer leurs opposants, mais également des coups spéciaux qui n'aboutissent pas toujours, des spectacles de guignols où on se torgnole à tour de rôle, du jeu d'équipe qui envoie du pâté, du suspense lorsque l'arbitre lance son compte-à-rebours, etc... Et on a parfois des surprises marrantes, comme quand l'équipe badass du début se ramène des vestiaires en T-shirt pour filer un coup de main à leurs potes sur le ring, faisant tourner le combat en bordel général, ou encore quand un des champions s'est ramené en jeans pour éclater le vainqueur d'un duel qui se la jouait un peu trop.

C'est ce qu'on appelle se faire remettre à sa place

Sachez aussi que le combat ne se limite pas à l'intérieur du ring, mais déborde (souvent) aux pieds de l'estrade, voire dans le public.

Baston derrière les commentateurs, avec à la droite le plus furax des combattants, un espèce de grand Gengis Khan qui effrayait la ménagère et piquait les sacs à main

C'est sans doute ça qui est le plus marrant avec le puroresu : c'est un bordel général, un grand délire sans règle apparente où tout peut arriver mais rien n'est jamais grave. Un grand géant attrape un lutteur plus petit, le balance hors du ring et descends lui-même pour lui asséner un coup de chaise ? Même pas mal ! Un grassouillet en justaucorps rouge se prend un bras plus épais que ma cuisse à la vitesse d'un Shinkansen en furie ? Même pas mal ! Un gus habillé en Tarzan fait le saut de l'ange depuis un piquet droit sur l'estomac d'une patate de forain au corps huilé ? Même pas mal ! C'est sans doute la capacité des combattants à s'affronter pendant au bas mot vingt minutes là où quelqu'un d'autre ne tiendrait pas trente secondes qui rend le spectacle si jouissif.

Attention, voilà le triple backflip banane flambée qui arrive !

Et pourtant, le puroresu est considéré comme un sport sérieux au Japon. Apparu sur l'archipel à la fin du XIXe siècle alors qu'un ancien sumo revenait d'un séjour aux USA, la discipline dans ses bagages, l'apparition du puroresu est contemporaine à la création des différents budô (jûdô, aikidô, kendô, etc...), à un tel point qu'on pourrait presque le considérer comme l'un d'entre eux. L'une des différences majeures reste que les budô sont surtout amateurs tandis que le puroresu est toujours professionnel, portant la discipline à un haut-niveau de spectacle qui en a fait le sport le plus populaire de l'archipel jusqu'à récemment. Eh oui, il a suffi d'une dizaine d'années environ pour que le puroresu perde en audience au profit du foot et du base-ball. Ce n'est donc pas si étonnant que je n'en ai jamais entendu parler auparavant.

Deux sumotori étaient aussi de la partie - l'un des catcheurs les ayant d'ailleurs gentiment provoqués depuis le ring, à quoi ils ont répondu par un geste de la main bienveillant

Sense - this picture makes none

Les bad guys ont droit aux armes - mais ils vont se faire laminer l'instant d'après

Je vous l'ai dit, il y avait plusieurs grosses pointures dans ce tournoi. Heureusement M. Takahashi, diplômé de Keio et grand fan de puroresu, s'était assis à côté de moi pour me présenter les célébrités qui se succédaient sur le ring, commentait les chances de victoire des uns et des autres, annonçait les attaques spéciales et se joignait à la foule pour retenir son souffle lors de grandes actions et huer les bad boys lors de coups bas manifestes ou de (faux) embrouillages d'arbitre. Il n'en n'a pas fallu plus pour m'emporter dans le tourbillon.

Belle brochette de célébrités dont le champion en titre (avec son slip) ainsi que Tiger Mask à sa gauche, qui suit la même source d'inspiration que King dans Tekken

Plusieurs catcheurs puisent leur inspiration dans les vieux dessins animés et jeux vidéos de leur enfance

T'as insulté ma mère là ?

Mêlée tous azimuts

Le Mongol furax veut sa dose d'hémoglobine

Ze vais t'éclater la zervelle

Devant tant de spectacle, il est difficile de démêler le vrai du chiqué. A la fin du combat, les lutteurs perdent-ils parce qu'ils sont à bout de force ou parce que le "scénario" est écrit ainsi ? Le KO est-il un vrai KO ou un accord entre combattants ? Le catcheur groggy, tenant à peine sur ses pieds ou rampant jusqu'à la corde pour passer la main à ses partenaires, est-il en train de simuler ou est-il vraiment au bord de l'effondrement ?

Les voies du puroresu sont impénétrables.

Grande surprise de ce tournoi : la victoire de ce type pas très puissant au dernier combat contre un grand champion

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