mercredi 28 septembre 2011

Tengu, religion et poudre d'escampette

On va continuer de rattraper le temps perdu avec un article qui va nous transporter à travers le temps - jusqu'à la Nuit des Temps. En effet, nous allons parler de religion ; sortez vos cahiers, le catéchisme commence.

Photo de famille du panthéon japonais, Amaterasu s'étant enfin décidée à sortir de sa grotte

Retenez bien le visage de la demoiselle, c'est l'aïeule de l'Empereur du Japon.

Bon, c'est fini, on va parler de choses au moins aussi importantes maintenant : ma petite vie de tous les jours. En japonais : 生活 (seikatsu).

Un des trucs les plus incroyables qui me soient arrivés jusqu'à présent, c'est d'avoir été pris dans un tourbillon de ferveur festive moins d'une semaine après mon arrivée. Je m'explique.

Arrivé le mardi et à peu près sorti du jet-lag jeudi, je me suis pas mal baladé dans le quartier après m'y être perdu. Et c'est par le plus grand des hasards que mon regard s'est porté sur une affiche colorée : ce dimanche, matsuri à l'un des grands sanctuaires du coin (Mizuinari de son petit nom). Mais vous me direz : un matsuri, c'est quoi donc ? Un matsuri, c'est un festival. Il y en a tout au long de l'année pour des raisons religieuses ou triviales (l'hiver pour le Yuki-matsuri de Sapporo, renommé pour ses sculptures de glace), mais la grande majorité d'entre eux est concentrée dans la période estivale. Voyez ça comme un héritage des fêtes des moissons.

L'avant-garde approche...

La veille du matsuri lambda, le cérémonial veut que les prêtres du sanctuaires préparent le hikoshi. Il s'agit d'une énorme réplique de temple garnie d'or et supportée par quatre poutres entrecroisées , le tout pesant près d'une tonne et nécessitant la force de trente hommes. Disposant le hikoshi portes ouvertes au coeur du sanctuaire, les prêtres invitent le kami (divinité mineure) local à entrer dans le temple portatif. Le lendemain, la cérémonie consiste tout simplement à se promener le hikoshi sur le dos, histoire de balader le kami dans le quartier avec force foule, joie et euphorie pour attirer la bonne fortune durant l'année à venir. Le résultat est oufissime.

Fiesta mikoshi !

Le matsuri durant de 8h du matin à 17h du soir, c'est une occasion parfaite pour les Japonais de se retrouver entre voisins de quartier et faire la fête ensemble, sans oublier de ramener la bibine. C'est donc un joyeux cortège qui se balade pendant toute la journée en se relayant et montrant qui a la plus grosse, faisant des pauses tous les 200 mètres sur un circuit titillant les 30 km. Ce qui ne se voit pas sur la photo, c'est que le mikoshi est précédé d'une charrette pleine de musiciens jouant de la flûte et des tambours de toutes tailles, sans oublier les sifflements omniprésents, les encouragements des uns et les cris virils des autres portant le temple doré. Les femmes et les vieillards sont aussi conviés à rejoindre l'équipe, aussi bien que les gaijins (étrangers, terme assez péjoratif mais très répandu) traînant dans le coin. Et c'est ainsi que je me suis retrouvé dans un tourbillon de yukata bleus, moi qui étais dans un T-shirt rouge dégoulinant de sueur et ne comprenant qu'à moitié ce qui se passait. M'étant écorché l'épaule en 3 minutes, j'ai compris pourquoi ils avaient tous ramené une serviette à rouler entre la peau et la poutre de XXX kilos. Et ça m'apprendra à être plus grand que le Japonais moyen.

Mikoshi sur fond de campus de Waseda...

Mikoshi sur fond de Tokyo...

Pont sur fond de mikoshi...

On trouve toutes sortes de personnes dans ce joyeux cortège :

Des disciples...

Des bandes de potes. Ici, la team Triforce.


Des flics...

Des notables, sans doute...

Et puis un invité inattendu... lui.


Un tengu, reconnaissable d'entre mille à son visage rouge et son long nez. Kami parmi bien d'autres, le tengu était réputé pour tourmenter les arrivistes, les orgueilleux, les bonzes arrogants et les samouraï vaniteux, étant donc tout sauf une créature sympathique. On disait même que les bonzes ayant perdu le chemin de la vertu étaient eux-mêmes changés en tengu. Mais au cours de l'histoire, il a pris un visage plus clément jusqu'à prendre une place importante dans le panthéon shintoïste, devenant entre autres un protecteur des temples. Mais ça, je ne le sais que grâce à mon ami Wikipédia, et j'étais surpris sur le moment de voir un tourmenteur divin à la tête du cortège.

Demandant la raison de la présence de ce tengu à un japonais (qui s'est avéré être le directeur d'un institut de langue japonaise du coin, parlant donc anglais), j'ai eu droit à une explication confuse dont je n'ai pas tout saisi. Mais ce que j'ai retenu, c'est que les tengus vivent sur le mont Takao, que ce n'est pas loin de Tokyo, pas cher et que ça vaut absolument le coup d'oeil.

C'est ainsi qu'une semaine plus tard, toute une équipée d'étudiants d'échange partit pour le mont Takao. Ou Takao-san pour les puristes.

Vous croyez que c'est une montagne ordinaire ? Détrompez-vous.

"Ah ces stupides gaijin..."

Outre que c'est l'un des endroits préférés des Tokyoïtes pour faire de la randonnée sympatoche et redécouvrir la nature, le mont Takao est une montagne sacrée. Abritant le très ancien temple Yakuôin Yûkiji, il est la maison-mère d'une des très nombreuses sectes bouddhistes et sans doute encore un lieu de pèlerinage. Mais ce n'est pas tout. Si on veut entrer dans les détails, le mont Takao est 3/4 bouddhiste et 1/4 shintoïste. Un mélange à l'image de l'orientation religieuse des Japonais.

En effet, dans le cas général, les Japonais ne sont ni 100% bouddhistes ou 100% shintoïstes, ou encore 100% chrétiens ; ils se plaisent à mélanger le tout pour en sortir ce qui les intéresse ou les interpelle. Ca vaut en particulier pour les cérémonies religieuses rythmant la vie des individus : la naissance peut être fêtée de manière shinto, puis célébrer le mariage à la chrétienne (ou à la protestante, ou dans un parc d'attractions ou d'une toute autre manière en vogue) avant de tenir des funérailles bouddhistes. De l'aveu du bonhomme rencontré durant le matsuri, les Japonais ne sont pas sérieux vis-à-vis de la religion - on peut en retrouver des traces historiques durant les persécutions des Japonais chrétiens durant l'ère féodale, où l'incompréhension du christianisme et notamment de l'attachement exclusif à un système de valeurs a conduit les barons locaux à crucifier à tour de bras. Pour le fun, et pour voir si le Christ allait sauver ces pauvres hères. ll ne fait pas bon prôner le pacifisme en période de chaos et de guerre civile...

D'après ce que j'ai entendu et lu un peu partout, la majeure partie de la population japonaise est agnostique. Pourtant, les Japonais vont très souvent prier au temple ou au sanctuaire, suivant des rites de purification et de prière bien précis. Un pote Japonais de mon âge m'a confié qu'il allait souvent prier juste comme ça, pour se relaxer et en sortir l'âme en paix. Voire de temps en temps pour implorer la bonne fortune la veille d'un examen important. Ca a l'air un peu con comme ça, mais ça marche. Après avoir passé le stade "OK, c'est embarrassant, je suis un gaijin singeant les manières des locaux", j'ai commencé à prendre du plaisir à me purifier à l'entrée des sanctuaires, jeter une pièce de 5 yen en offrande au kami avant de sonner la cloche et frapper dans les mains pour attirer son attention, puis passer quelques moments à faire le vide ou un voeu. Puis saluer avant de repartir. Il n'y a rien de mieux pour reprendre son calme ou décompresser.

"Si c'est pour décompresser, je peux jouer du shamisen aussi..."

Revenons-en à notre Mont.

Le lundi matin, frais et dispos, je pars de Sôdairyô avec une bande d'autres internationaux. On s'arrête en chemin pour acheter un panier-casse-croûte (bentô) dans un combini, puis dans un autre, et on arrive finalement un brin en retard pour le rendez-vous avec les internationaux des autres résidences. Problème : ils ne sont pas là. Et on n'a pas de numéro de portable à joindre. Vu qu'on était un peu rush niveau timing, on s'est dépêchés de prendre le train jusqu'à Shinjuku et de changer pour la ligne Keio. Terminus : Takao-san !
...devinez qui on a rencontré sitôt sortis de la gare ? Le reste de l'équipe, qui était partie plus tôt avec une autre ligne et venait d'arriver à pieds de la station précédente. Hasard incroyable, digne des retrouvailles au Tokyo Game Show. Plates excuses plus tard, c'est parti pour l'ascension !


La montagne a beau culminer à seulement 600 mètres, la première partie de l'ascension par le chemin principal est plus raide que prévue. Ce n'est pas pour rien qu'un téléphérique a été mis en place pour épargner cette étape aux vieux, mais vu qu'on est jeunes et sportifs, on ne fait pas nos feignasses et on grimpe à pieds. Et on s'est tellement transformés en juifs depuis notre arrivée qu'on n'a de toute façon pas envie de dépenser de la thune pour le téléphérique. C'est pas plus mal, car on a pu faire de jolies rencontres et prendre de jolies photos.







Vue sur la téci à mi-hauteur de la montagne.

On ne tarde pas à atteindre la partie bouddhiste de la montagne, avec tout un complexe de temples et des lanternes partout. La pente se fait aussi plus douce, voire inexistante.






S'il n'y a pas l'ombre d'une plume de tengu, on y trouve en revanche de bien belles statues sans doute destinées à rappeler aux voyageurs qui sont les maîtres ici.


Tengus prêts à en découdre

Sur le chemin, on trouve aussi une grotte sympathique ayant tout d'une cavité sacrée.



Et enfin, on atteint le sommet.

Bonjour Japon !

Lignes de crêtes parfaitement alignées, à la japonaise quoi

Par temps clair, on peut voir le mont Fuji dans le tas de nuages sur la droite. Mais la célèbre montagne a été timide une fois de plus... Elle ne paie rien pour attendre, l'hiver la forcera à se montrer jusqu'à Tokyo !

Après avoir soufflé un peu et rempli les appareils photos, on s'est mis à redescendre la colline. Oui, mais par un autre chemin dont les brochures vantent la beauté en été. On a vite compris pourquoi.

Vietnam ? Laos ? Non, Japon.

Si le sentier n°1 parcourait une zone de forêt plus ou moins habituelle, le chemin n°6 s'aventurait dans le versant humide de la montagne. Bienvenue dans la jungle, baby !



C'est devenu drôle quand le sentier s'est logé dans le lit d'un ruisseau

La cascade sacrée du coin, raison principale de notre descente par ce chemin. Bien moins impressionnant que ce que j'avais imaginé.

La suite des évènements est juste amazing : retour à la gare, comatage dans le train, retour aux dortoirs, extinction des feux et au pieu. Ah non, en fait c'est juste banal. Mais ça ne s'est pas fait sans se promettre une nouvelle excursion du genre dans les temps qui viennent !

Bonus : Jizôs et les 7 nains

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